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Printemps arabe, réformes, retombées de la crise européenne, intégration régionale… Le ministre marocain de l'économie depuis 2007, Salaheddine Mezouar, revient sur les sujets qui agitent l’économie nationale, dans une interview avec jeune Afrique.

 

Jeune Afrique : Quel est l’impact du printemps arabe sur l’économie marocaine ?

Salaheddine Mezouar : Nous avons vécu une période d’amalgame. Les images des événements en Tunisie et en Égypte ont provoqué des inquiétudes chez les opérateurs économiques étrangers qui ont réduit leurs investissements lors des deux premiers mois de l’année. Nous nous sommes donc attelés à rassurer nos partenaires. Les fondamentaux de l’économie marocaine sont bons. Le scénario de croissance le plus pessimiste est de 5 % en 2011. L’année agricole sera excellente, avec 88 millions de quintaux de céréales, et on enregistre une hausse des arrivées de touristes. On devrait dépasser les 10 millions d’entrées en 2011, en progression de 5 %. Ce qui nous handicape le plus, c’est l’augmentation du prix des matières premières.

Ne souffrez-vous pas des difficultés européennes ?

Il est évident que nos exportations industrielles bénéficieraient d’une croissance plus forte en Europe. L’Espagne pâtit d’un manque de reprise de sa demande intérieure, mais en France la dynamique de consommation se maintient. Nous compensons le ralentissement de la demande extérieure par l’investissement public et la consommation intérieure, qui augmente de 7 % par an. Cela explique aussi la diversification de nos relations commerciales, notamment en Afrique. Ce marché prometteur est une cible stratégique du royaume. Il y a actuellement une dynamique d’investissements de nos grands groupes et de nos PMI-PME, favorisée par Royal Air Maroc, qui accroît sa desserte continentale. De par son positionnement géographique et les accords de libre-échange qu’il a signés, le royaume est également une plateforme pour les entreprises européennes désireuses de pénétrer les marchés des pays africains et arabes.

La montée de l’extrême droite en Europe et les appels au patriotisme économique vous inquiètent-ils ?

C’est un discours de politique intérieure qui va à l’encontre de la dynamique de globalisation, de création de richesses par l’échange et le partenariat. Le monde ne peut revenir à des schémas protectionnistes qui détruiront les avantages du commerce international. C’est aussi une conséquence du manque de régulation du système financier. Comme l’Allemagne et la France, nous demandons davantage de garde-fous et de règles.

Quelles seront les incidences économiques et sociales de la réforme constitutionnelle ?

Sa Majesté le roi Mohammed VI a appelé à une révolution tranquille en plaçant les acteurs politiques devant leurs responsabilités. Il y a aujourd’hui un décalage entre la Constitution et le degré d’ouverture de la société. La nouvelle Constitution prendra en compte les avancées des dix dernières années en matière de droits de l’homme, de statut de la femme, d’accords de libre-échange, de rééquilibrage des rôles entre l’institution monarchique, le gouvernement et le Parlement. Cette nouvelle architecture de gouvernance inclut aussi le projet de régionalisation, les droits et obligations des citoyens, les droits économiques et la transparence financière. Au niveau économique, les acteurs doivent être libres dans un marché ouvert où la compétition et les chances sont les mêmes pour tous. En retour, le citoyen ne doit plus s’en remettre à l’État providence.

L’Instance centrale de prévention de la corruption manque de moyens, et les rapports de la Cour des comptes n’ont pas toujours d’effet. Y a-t-il une réelle volonté d’améliorer la gouvernance économique ?

Assurément. Les instances sont aujourd’hui créées et seront prochainement gravées dans le marbre de la Constitution, elles prennent progressivement leur indépendance et bénéficient de moyens. La société civile a également un rôle à jouer à travers la création d’associations de lutte contre la corruption sur le même modèle que celles dédiées à la protection des consommateurs.

Les slogans hostiles à la Lydec, filiale de Suez, dans les manifestations du 20 février ne vont-ils pas rebuter les groupes européens ?

L’expression populaire est souvent liée à une réalité. On reproche à la Lydec d’avoir augmenté les factures d’eau et de ne pas avoir prévu les cas extrêmes, comme les inondations qui ont affecté l’approvisionnement. Dans les contrats de délégation de service, les entreprises doivent respecter un cahier des charges et l’État doit y veiller. La Lydec s’est engagée à investir dans la rénovation des réseaux, mais elle semble favoriser une logique de récupération rapide de ses investissements. Nous sommes ouverts à la discussion avec le groupe et nous garantissons la protection des investisseurs. En retour, les opérateurs doivent intégrer des facteurs sociaux et d’efficacité.

Qu’attendez-vous de la régionalisation sur le plan économique ?

L’intérêt est d’amener les régions à réfléchir à leur propre dynamique de développement en bénéficiant notamment de l’apport des élites. La dynamique doit prendre sur tout le territoire pour ne pas avoir un Maroc à deux vitesses. Le Grand Casablanca se positionne sur les services avec ses hubs financier, commercial et de transport. Tanger développe l’industrie, le secteur portuaire et la pêche. La région du Souss Massa Drâa possède un fort potentiel agricole et se dirige naturellement vers la transformation de ces produits. L’Oriental mise sur plusieurs activités, dont le transport – avec le port de Nador –, l’agroalimentaire et le tourisme.

Pour la première fois depuis longtemps, un ministre marocain s’est rendu en Algérie. Appelez-vous à l’ouverture de la frontière ?

On ne peut concevoir l’avenir sans un Maghreb intégré, sans un partenariat solide entre le Maroc et l’Algérie. Les événements et mouvements sociopolitiques actuels dans le monde arabe devraient accélérer le cours de l’Histoire. Malgré nos différends, on finira par trouver une solution pacifique à la question du Sahara. Il faut que les deux parties avancent sur les chantiers économiques, ce qui facilitera le processus politique. L’Union du Maghreb arabe est un espace de prospérité, de création d’emplois, d’investissements, de partage du marché. Le coût de la non-intégration représente deux points de croissance annuelle pour les pays membres, ce qui signifie moins de richesses et d’emplois. Les visites ministérielles actuelles sont encourageantes. Nous espérons que l’Algérie nous suivra pour la réouverture de la frontière commune. 

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Propos recueillis à Rabat par Pascal Airault.

N.B. : cet entretien a été réalisé quelques jours avant le sanglant attentat de Marrakech.

Jeuneafrique.com

 

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