Yawatani

La première promotion d’étudiants en médecine formés dans des facultés privées marocaines arrive à la fin de sa cinquième année d’études et espère donc passer le concours d’internat national, comme on lui promettait. Mais, notamment face à la levée de boucliers des étudiants du public, les ministres de la Santé et de l’Éducation leur ont opposé un niet.

 Le 15 mars, les ministres de l’Éducation et de la Santé ont été amenés à se prononcer sur un débat brulant pour « dissiper toute confusion ou ambiguïté pour les étudiants » en médecine. Le statut actuel « ne permet pas aux étudiants inscrits aux facultés de médecine privées de passer les concours d’internat organisés par les facultés de médecine et de pharmacie publiques, » ont-ils affirmé dans un communiqué conjoint.

 
 Le malaise s’est installé depuis quelques semaines, autour de l’intégration des étudiants en facultés de médecine privée au concours de l’internat. Toutes deux fondées en 2014, les facultés de médecine privées de Casablanca (Université Mohammed VI) et Rabat (Université internationale Abulcasis), voient cette année leur première promotion atteindre le concours d’internat après cinq ans d’études supérieures.

Mais cette perspective de voire la concurrence renforcée a suscité une levée de bouclier du côté des étudiants en facultés de médecines publiques, notamment à l’Université Hassan II de Casablanca où les étudiants ont vu venir le spectre d’un concours commun, sans augmentation du numerus clausus. Plus d’appelés, autant d’élus. Les étudiants du public perçoivent alors une concurrence déloyale de la part de leurs futurs confrères qui se seront préparés au cours d’une formation payée au prix fort, dans des universités dotées de plus de moyens. À l’inverse, les étudiants du privé craignent de voir les 650.000 dirhams investis dans leurs cinq ans d’étude réduits à un concours parallèle au concours national, qui les priveraient notamment de certaines spécialités.

Les craintes du public

La nouvelle a vivement fait réagir dans les couloirs des hôpitaux publics. Plus il y a de candidats qui passent le concours d’internat dont les places sont limitées, plus la concurrence est rude. Et lorsque les candidats ne viennent pas du même cursus, se pose la question de l’équité. Et ça commence dès le baccalauréat en poche, au niveau des critères d’admission en faculté de médecine qui ne sont pas les mêmes dans le privé et dans le public.

Pour intégrer une faculté de médecine publique, un bachelier doit afficher une moyenne d’au moins 16 sur 20 pour entamer la première année. En faculté privée, un bachelier peut se contenter d’un 12 sur 20 pour entamer le cursus, moyennant des frais de scolarité de 130.000 dirhams par an.

Et les différences persistent au cours du cursus. Contactée par TelQuel, une résidente du CHU Ibn Roch de Casablanca explique : « c’est injuste, car ils ne sont pas soumis au même cahier de charges que nous en termes de sélection. Par exemple, lors de l’internat en médecine, une partie de la note se base sur le parcours (note de stage, examen, etc.). Or, les deux systèmes sont totalement différents. La notation dans le privé est plus clémente que dans le public. Dans un examen écrit dans le public, la moyenne est atteinte à 30 sur 50. Dans le privé, c’est 25 ».

Un résident du CHU de Casablanca poursuit : « Légalement, tu n’as pas le droit de passer un concours d’internat d’État si tu n’as pas validé un certain nombre de stages et de matières au CHU. Dans l’université privée, le cursus de matières est totalement différent du nôtre, ainsi que la notation. Je ne vois pas comment ils seraient autorisés à le passer. Dans le public, si nous ratons une seule matière, il nous est interdit de le passer. De quel droit quelqu’un qui n’a pas passé ces matières pourrait prétendre à se présenter à l’examen ? »

Au-delà du système de notation, c’est le taux d’encadrement et le principe d’« équité » qui sont invoqués. « Dans le privé, ils ont des intervenants de qualité, des conférences, du matériel dernier cri, des cours modernes… Ils sont beaucoup plus avantagés que nous. Nous, qu’avons-nous dans le public ? On galère pendant des années et en plus nos places sont menacées. Ce serait le coup de grâce pour l’hôpital public, » plaide notre source.

Autre point, celui de l’organisation et de la logistique de l’hôpital public. Si les étudiants des facultés privées passaient le même concours d’internat que ceux du public, « en termes de formation, ce serait très problématique. L’hôpital est déserté, les profs manquent, parce qu’ils partent à cause des conditions de travail. Peu importe que les étudiants du privé ‘piquent’ nos places ou pas, s’ils viennent, il faudra de toute façon des moyens et des ressources pour les former. Or, il y en a de moins en moins, » assure une autre résidente au CHU de Casablanca.

Le privé en quête de reconnaissance

Mais pour beaucoup, les étudiants du privé ont entamé leur cursus en étant persuadés de pouvoir à l’issue passer un concours public. Tant les responsables politiques que l’administration les en avaient assurés. Ali Taleb, responsable du bureau des étudiants (BDE) de l’université de médecine Mohammed VI, rappelle que son université n’est pas privée, mais « semi-publique » à but non lucratif et financièrement autonome. Il ajoute : « notre diplôme est reconnu comme équivalent à celui du public, et ce, depuis 2017 avec la confirmation par le chef du gouvernement au Bulletin officiel ». 

Car comme le déclarait l’ancien doyen de la faculté de médecine Abdelkrim Bahlaoui en 2016 dans une interview à Aujourd’hui le Maroc : « Depuis son ouverture, toutes les formations de l’université Mohammed VI des sciences de la santé (UM6SS) ont été accréditées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique. Les diplômes de l’UM6SS seront non seulement reconnus par l’État, mais, plus encore, reconnus équivalents à ceux du public ». Désormais ce que veulent les étudiants du « semi-public », c’est une reconnaissance et une égalité de fait par rapport au diplôme de leurs homologues du public. Donc le droit de se présenter au même concours d’internat en médecine.

Cette problématique autour du concours de l’internat en médecine est d’autant plus prégnante que certaines spécialités ne sont tout bonnement pas enseignées dans le secteur privé à l’instar de la psychiatrie. Contactée par TelQuel, une professeur assistante à l’hôpital Cheikh Khalifa argumente : « Interdire à un étudiant de faculté privée de passer un concours public, c’est à la limite du légal. Si un étudiant en médecine de la faculté privée veut faire psychiatrie, comment va-t-il faire ? Ce service n’est pas disponible à Cheikh Khalifa [l’hôpital « semi-public » rattaché à l’UM6SS, NDLR]… ».

Aussi l’annonce de Saaid Amzazi et Anas Doukkali est tombée comme un couperet. À six mois du concours d’internat qu’espérait passer la première promotion des facultés de médecine privées, les étudiants sont dans l’impasse. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé d’ici là, les facultés privées devront-elles créer leur propre concours d’internat ? Contactée, l’administration de l’université Mohammed VI des sciences de la santé n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

Telquel

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