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Les choses bougent vite à propos de notre connaissance du phénomène djihadiste. Une série de livres, d'articles académiques, de reportages et de films convergent, au-delà de leur diversité, dans une remise en cause des discours de banalisation et de minimisation qui longtemps ont dominé la scène intellectuelle et politique française.

On tend ainsi à abandonner la présentation des djihadistes comme des brutes incultes droguées au captagon, totalement ignorantes du Coran, qui joueraient à la Guerre Sainte comme d'autres aux jeux vidéo.

Prendre au sérieux le discours des islamistes pour le combattre

Il y a sans doute semblables figures parmi les hommes de main, mais leurs dirigeants, leurs cadres et une bonne partie de leurs troupes accomplissent une lecture sélective, partiale, mais articulée des textes de la tradition islamique, et c'est de là que provient leur dangereux pouvoir de séduction. Le nier, c'est au fond se priver de tout moyen de combattre ce discours. Il convient de commencer par prendre au sérieux la parole de qui l'on affronte.

Egalement de plus en plus démentie est l'idée d'une radicalisation pour elle-même, qui prendrait aujourd'hui l'islam pour vecteur tout comme, dans le passé, elle se serait adressée au communisme, à l'anarchisme ou au fascisme. Or l'état d'esprit est bien différent de celui des révolutionnaires rouges ou bruns d'antan. Aucune compulsion à subvertir la société, avec un plan -si absurde soit-il- de reconstruction d'un Etat, d'une économie, de rapports sociaux, tous profondément modifiés. Le regard des islamistes radicaux paraît tout entier tourné vers le passé mythifié des premiers temps de l'Islam. La seule compulsion est celle d'un puritanisme absolu, dont l'instauration passerait par l'élimination des "impurs" (les juifs, les chiites, les chrétiens...) et des "débauchés" (les femmes libres, les homosexuels, les amateurs de musique, d'art, de bon vin...). Bref, si l'on ose une comparaison, quelque chose de bien plus proche des puritains protestants de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle que des marxistes du XXe.

Djihadisme, islam radical et salafisme: un socle commun de références

Enfin, se fait jour le lien organique entre l'activisme djihadiste et les positions de l'islam radical (ou islamisme), sphère bien plus étendue. Il existe incontestablement un très vaste salafisme "quiétiste", qui rejette la violence comme moyen systématique d'action. Mais les présupposés et objectifs fondamentaux de ces deux ailes du radicalisme islamique sont en grande partie les mêmes. La détestation de la liberté individuelle, des formes essentielles de la joie de vivre, le fanatisme de la lettre coranique et la fétichisation des mœurs ou accoutrements attribués aux compagnons du Prophète leur sont un bien commun. Tous s'appuient sur les mêmes références fondamentales, autour desquelles s'est formée dans la pensée islamique du dernier millénaire une aile certes extrême, minoritaire, mais tout sauf marginale, que ce soit par le nombre de ses adeptes ou le prestige de ses penseurs: Ibn Taymiyya (Syrie, XIVe siècle), Ibn Abdelwahhab (fondateur du wahhabisme dans l'Arabie du XVIIIe siècle), l'Egyptien Sayyid Qûtb et l'Indo-Pakistanais Abdul Ala Mawdudi (XXe siècle), pour ne mentionner que les plus fameux. On pourra y adjoindre l'ample mouvance mondiale des Frères musulmans, fondés en 1928 en Egypte par Hassan el-Banna. Tous ne cautionnent pas le terrorisme, mais le Hamas, qui gouverne Gaza, en constitue l'un des fleurons. Ces groupes, qui peuvent s'entretuer, se réclament de l'école juridique hanbalite (fondée à Bagdad au IXe siècle), l'une des quatre grandes de l'islam sunnite.

Même l'islam soufi, objet de détestation des djihadistes (d'où par exemple la destruction des mausolées maraboutiques de Tombouctou), peut à l'occasion verser dans la violence extrême, au nom de Dieu outragé. Le plus grand massacre commis au XXe siècle par des musulmans agissant en tant que tels fut en 1965-66 celui de quelque 500.000 communistes indonésiens "athées". Les milices du puissant parti-confrérie Nahdlatul Ulama, qui professait pourtant un islam soufi modéré, et a aujourd'hui une ligne "centriste", marquée de tolérance, tuèrent au point que l'armée, qui les avait incitées à agir, les avait armées et encadrées, dut parfois refréner leurs ardeurs assassines. Il ne faudrait enfin pas oublier que le chiisme radical inspire lui aussi violence et terreur, que ce soit avec le Hezbollah libanais ou, dans un passé récent, en Iran.

Une grande porosité entre radicaux d'inspiration et d'action

D'où, concrètement, une grande porosité entre radicaux d'inspiration et d'action, et tout particulièrement entre salafistes et djihadistes. Les indices en sont innombrables. On retiendra par exemple une enquête de 2010 du respecté Pew Research Centre, qui relève une appréciation favorable d'Al Qaïda chez 49% des musulmans du Nigéria, 23% de ceux d'Indonésie et 20% de ceux d'Egypte. En 2014, l'approbation des attaques-suicides contre des civils au nom de l'Islam était de 47% au Bangladesh, de 24% en Egypte, de 18% en Malaysia. Un sondage d'opinion réalisé chez les musulmans britanniques pour le quotidien The Sun, après les attentats parisiens du 13 novembre, révèle que 19% (et un quart des 18-34 ans) ont de la sympathie pour ceux partis se battre en Syrie. Cette adhésion significative s'appuie sur des valeurs partagées: l'enquête de 2010 déjà citée mentionne un taux d'approbation de la lapidation des coupables d'adultère de 82% en Egypte et au Pakistan, de 42% en Indonésie, de 16% en Turquie. Seule une petite minorité est réellement susceptible de passer à l'acte, mais les extrémistes sont tout sauf isolés.

Il ne s'agit aucunement de stigmatiser l'islam ou les musulmans en tant que tels. Les versets du Coran les plus agressifs ne le sont pas davantage que certains de la Torah, et on a tué au nom de toutes les grandes religions, bouddhisme inclus. La grande majorité des musulmans aspire à la paix, et a les mêmes critères fondamentaux de bonheur que les tenants des autres religions, ou les athées. Mais les djihadistes partagent avec cette majorité musulmane des écrits saints, des concepts révérés, ainsi que, très fréquemment, une lecture doloriste, complotiste et radicalement anti-occidentale du passé comme du présent, d'ailleurs souvent enseignée dans les écoles des pays d'islam. On y surévalue systématiquement la portée des "agressions" subies -ignorant par exemple que, en 1914 encore, davantage d'Arabes étaient dominés par l'empire ottoman que par les Occidentaux, dont les seules colonies proprement dites dans cette zone étaient alors l'Algérie, la Libye et la ville d'Aden, au Yémen. On évacue de la mémoire les récentes interventions de l'OTAN en faveur de peuples musulmans (Bosniaques, Kosovars) opprimés par des pouvoirs chrétiens. Sur cette lecture de l'histoire, on aura noté la remarquable convergence du discours islamiste et de celui de la gauche radicale, qui fournit involontairement bien des légitimations à la violence terroriste.

C'est à ce terreau complexe et prégnant qu'il faut s'adresser, si l'on entend mettre fin à cette dernière (ou, ne rêvons pas, à la marginaliser), non seulement par la répression, mais aussi par la conviction. Il ne s'agit pas principalement de promouvoir un "islam des Lumières", si sympathique soit-il, car il est appelé à demeurer longtemps très minoritaire; mais plutôt de montrer à tous ceux qui sont animés par une conception traditionnelle de la foi musulmane que les radicaux, sous prétexte d'être ses meilleurs défenseurs, les entraînent dans une impasse délétère, et à terme quasi-suicidaire.

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