Yawatani

Voilà qu'à l'occasion de la séance mensuelle de la Chambre des conseillers, mardi 1er décembre 2015, le Chef du gouvernement n'a pas résisté à opérer une embardée. Alors que le thème portait sur le bilan social du cabinet depuis 2012, il a débordé sur une question sensible: celle de la réforme du système éducatif. Et pour dire quoi? Pour interpeller… l'un de ses ministres, Rachid Belmokhtar, en charge de l'éducation nationale. Comment? En l'invitant instamment à s'occuper des "priorités, à savoir le respect de la discipline dans les établissements scolaires, ce que les enseignants, les parents et les élèves demandent". Et d'ajouter en substance: "La langue de l'enseignement est trop sérieuse pour qu'un ministre en décide de son propre chef". Plus encore, il a jugé utile de rappeler le périmètre de ses attributions sur la base de son statut particulier. "Un Chef de gouvernement, a-t-il précisé, est nommé parce qu'il peut juger et apprécier à leur juste valeur les idées et projets en discussion…" 


De tels propos nourrissent de fortes interrogations. A commencer par celle-ci: pourquoi donc le Chef du gouvernement a-t-il fait une telle "sortie" publique, au demeurant au Parlement? S'il tenait tant à recadrer la réforme portée par son ministre, que ne l'a-t-il fait dans le cadre d'une réunion de travail ad hoc ou encore dans celui des rendez-vous hebdomadaires, tous les jeudis, du Conseil de gouvernement qu'il préside? Abdelilah Benkirane a ainsi jugé utile de déplacer le sujet et de prendre pratiquement à témoin la représentation nationale et, au-delà, l'opinion publique nationale. Dans le même temps, il laisse accroire qu'il y a un problème de supervision du travail de Rachid Belmokhtar, comme si l'intéressé appliquait une feuille de route non validée par lui en sa qualité de chef de l'Exécutif.


Est-ce le cas? Comme pour prendre date, Abdelilah Benkirane a révélé qu'il a envoyé une lettre à ce ministre, une procédure ordinaire dans le travail gouvernemental, sauf à annoncer publiquement cette correspondance, ce qui est tout à fait exceptionnel. Dans la pratique institutionnelle des décennies écoulées, l'on avait le schéma suivant: c'est le Roi qui saisit le Chef du gouvernement pour prioriser des actions et baliser le champ des mesures et des réformes à entreprendre.


Que M. Benkirane inaugure aujourd'hui un autre cas de figure n'est pas neutre. Il le fait à propos d'une question de fond touchant les places respectives de l'arabe et du français dans la réforme à l'ordre du jour. Un dossier complexe, à forte charge passionnelle parce qu'il clive fortement toutes les composantes de la société.


Le PJD exprime ainsi une position de principe, consubstantielle à son discours. Il faut rappeler à cet égard qu'il a exprimé les mêmes vues, lors de la réunion de la commission politique mensuelle des membres de son secrétariat général, à la fin février 2015. Mais, à cette occasion, ce qui était à l'ordre du jour, c'était la place respective des deux langues officielles que sont l'arabe et l'amazigh. Le texte adopté relève que les problèmes d'apprentissage à l'école ne sont pas imputables à la langue d'enseignement; qu'ils découlent surtout des choix faits dans les méthodes pédagogiques, les ressources humaines et la gouvernance du système éducatif; et qu'il refuse "toutes les allégations visant à adopter la darija", estimant que celles-ci ne visent qu'à "encercler les deux langues nationales et, en même temps, à ouvrir le champ à l'hégémonie des langues étrangères".


En occupant ce qui s'apparente à un "bunker" –celui de la défense et illustration de la langue arabe dans le système éducatif– M. Benkirane se trouve confronté à un double front. Si le premier, relatif à la darija, s'est replié; le second, lié à la place du français, est sans doute moins prenable. Fort des recommandations de la commission consultative et dune forte inflexion soutenant sa réforme, nul doute que Belmokhtar aura à coeur d'avancer malgré les récriminations orales du Chef du gouvernement. En cette conjoncture préélectorale, qui aura le dernier mot? Et jusqu'où peut aller M. Benkirane dans une démarche de censure de ce que fait l'un de ses ministres? De manière collatérale, n'est-ce pas un rebondissement du débat sur le référentiel des valeurs, sur leur teneur culturelle ainsi que sur le projet de société ?

MarocHebdo

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