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Les Britanniques ont fait leur choix. Ceux qui, en 1998, voyaient leur Premier ministre Tony Blair signer la Déclaration sur la défense européenne avec Jacques Chirac à Saint-Malo, ont décidé jeudi 23 juin de quitter l'Union européenne (UE)

Avec ce texte, France et Royaume-Uni adoubaient la "capacité autonome d'action" de l'UE en matière de sécurité et réaffirmaient les "engagements de défense collective" des États membres. Depuis sa signature, nombre d’observateurs ont fait le constat de l'immobilité d'une "Europe de la Défense", témoins de l'absence d'une véritable coordination des politiques de sécurité des 28. La sortie du Royaume-Uni de l'UE pourrait pourtant bien avoir des conséquences sur la sécurité européenne et les accords bilatéraux franco-britanniques.

Certains dirigeants ont d'ailleurs exprimé leur crainte que le Brexit nuise à la lutte antiterroriste. "L'Europe sera plus forte avec le Royaume-Uni, et le Royaume-Uni sera plus sûr et plus influent s'il reste avec nous", prévenait ainsi le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian dans une tribune publiée la veille du référendum dans le Telegraph. "J'imagine qu'Al-Baghdadi (le chef du groupe jihadiste État islamique ou Daech, ndlr) se réjouirait" d'un Brexit, disait même David Cameron en mai, arguant que l'UE garantissait un meilleur partage des informations sur les activités terroristes dans les pays membres.

Le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg, a lui aussi parlé en ce sens deux jours avant le verdict des urnes: "Un Royaume-Uni fort dans une Europe forte est bon pour le Royaume-Uni et bon pour l'Otan, a-t-il déclaré, car nous faisons face à des défis sécuritaires sans précédent".

En avril, les États membres ont fait un pas vers une plus grande coopération en adoptant au Parlement européen le fichier PNR, censé centraliser toutes les données des passagers aériens, au terme de cinq années de négociations laborieuses. À l'heure où la menace terroriste est plus que jamais un enjeu pour les pays de l'UE, la sortie d'un acteur politique aussi important que le Royaume-Uni fait craindre un coup de frein brutal à la politique de défense européenne.

Le Royaume-Uni, un joueur politique passif?

"La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) n'est pas morte", relativise pourtant Samuel Faure, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) et auteur de Défense européenne. Émergence d'une culture stratégique commune. Pour lui comme pour beaucoup d'observateurs européens, le Brexit pourrait n'avoir que des effets secondaires sur la politique européenne de défense.

Le Royaume-Uni, pourtant doté de la dissuasion nucléaire et de l’une des premières armées d’Europe, ne participe en effet que très peu aux opérations extérieures de l'UE. Sa plus grande contribution est sa participation à l'opération Atalante, lancée en 2008 dans le golfe d'Aden contre les pirates somaliens, et pour laquelle le Royaume-Uni n'a dépêché qu'un seul navire.

Selon Elise Daniel, professeure à l'université Paris I interrogée parLe HuffPost, le soutien immédiat du pays à la France après les attentats de novembre à Paris et son implication dans les frappes militaires en Syrie, en vertu de la clause d’assistance mutuelle européenne, doivent même être vus comme une "bonne surprise", relevant plutôt d'une coopération bilatérale. "Aujourd'hui, le Royaume-Uni est plutôt un obstacle au développement de la défense de l'Union européenne", ajoute-t-elle, rappelant par exemple que le pays a opposé son veto en juillet 2011 à la mise en place d'un quartier général opérationnel militaire à Bruxelles.

Pour Samuel Faure, le Royaume-Uni joue le rôle de "veto player", exerçant son droit de veto sur les questions relatives notamment au budget de l'AED, l'Agence européenne de défense (qui s'élève à 30 millions d'euros alors que celui de la Direction générale de l'armement française est de plus de 10 milliards).

"Les sujets européens ne sont plus trustés par le Royaume-Uni aujourd'hui", poursuit Elise Daniel, qui rappelle qu'aucun Britannique n'occupe de poste à haute responsabilité au sein de l'UE, contrairement à la période 2009-2014 où Catherine Ashton était Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Des accords bilatéraux fragiles

Dans les faits, la défense européenne ne pâtira donc pas nécessairement du Brexit. L'attention des États doit maintenant plutôt se porter sur le terrain politique, qui devra continuer à prôner la coordination et l'intégration. "L'UE reste un acteur mondial majeur" sur le plan de la Défense, rappelle Elise Daniel. Elle ne risque pas, selon la spécialiste, de perdre sa crédibilité, sauf à manquer d'une bonne stratégie de communication en oubliant de parler d'une seule voix.

Le Royaume-Uni pourra, de toute façon, participer aux opérations extérieures dès qu'elle le souhaite, l'Union européenne autorisant tous les pays intéressés à s'engager à ses côtés. Membre majeur de l'Otan, le Royaume-Uni peut aussi compter sur l'Alliance atlantique pour peser sur les questions sécuritaires et conserver ses alliances politiques. "Le Royaume-Uni demeurera un allié fort et engagé de l'Otan et continuera à jouer son rôle dirigeant au sein de notre Alliance", a assuré Jens Stoltenberg vendredi, soulignant que la position de Londres "restera inchangée" au sein de l'Otan. 

"La France continuera à travailler avec ce grand pays ami (...) et je n'oublie pas nos relations étroites en matière de défense qui seront préservées", a quant à lui insisté François Hollande au lendemain du vote des Britanniques. Le chef de l'État fait notamment référence aux traités de Londres, signés en 2010 entre la France et la Grande-Bretagne à Lancaster House, et qui doivent renforcer la coopération des deux pays sur le plan de la défense et de la sécurité.

brexit

Bilatéraux et non multilatéraux, ces accords ne risquent pas de se voir remis en question par le Brexit. "Mais on peut se demander dans quelle mesure la France va continuer à s'investir pour ces traités", prévient Samuel Faure, rappelant qu'ils ont été signés par Nicolas Sarkozy et David Cameron, qui a annoncé sa prochaine démission vendredi

L'inquiétude du secteur de l'industrie de la défense

Dans le secteur de l'industrie de la défense, des voix ont en tout cas manifesté leur inquiétude quant aux conséquences néfastes d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. C'est le cas de Marwan Lahoud, responsable de la stratégie d'Airbus Group, pour qui le Brexit signe la fin de la coopération militaire entre le pays et l'UE.

Il pointe notamment la possibilité d'un retour des barrières douanières aux frontières du pays: "Si à chaque fois qu'il y a un morceau de métal qui traverse la Manche, et il y en a, il y a une taxe, évidemment la compétitivité d'Airbus, elle est par terre". "Pour un groupe comme Airbus, le Royaume-Uni est fondamental", s'inquiète-t-il encore, rappelant que les ailes des avions d'Airbus sont construites au Pays de Galles.

Cette inquiétude est d'autant plus partagée que les traités de Lancaster House consacrent un projet de collaboration franco-britannique dans le secteur militaire, qui nécessite une coopération logistique importante entre les deux pays. Le projet "One MBDA", qui prévoit la création d'un acteur unique franco-britannique pour la fourniture des missiles, doit se traduire par l'échange de technologies et de matériel entre les différents centres de la société industrielle MBDA, filiale d'Airbus, implanté en France et outre-Manche. 

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"Au sein de l'Union européenne, MBDA bénéficie, comme d'autres industriels, d'un certain nombre d'avantages (fiscaux pour la R&D, législatifs pour les douanes, les transferts, etc.) qui pourraient se voir remis en cause par un Brexit s'ils ne sont pas maintenus dans le cadre de futurs traités bilatéraux qui seront à négocier ensuite", explique Florent de Saint-Victor, spécialiste des questions militaires. Alors que la livre sterling n'a pas tardé à s'effondrer vendredi après l'annonce du Brexit, l'expert évoque aussi la menace d'une fuite des commandes auprès des industriels.

"À court terme, les industriels ont tendance à penser que les programmes en cours ne devraient pas être 'trop' impactés, du moins dans leur poursuite", relativise Florent de Saint-Victor. "Mais le lancement d'autres programmes de coopération pourrait l'être, avec un effort politique, en plus de l'effort industriel, plus complexe pour aboutir à la signature d'un programme".

À défaut de fournir ces efforts, la France et l'Union européenne pourraient préférer se tourner vers d'autres partenaires politiques et militaires, comme l'Allemagne (qui possède d'ailleurs elle aussi ses centres MBDA).

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