Yawatani

En tant que leader des manifestations à Al Hoceïma,  il est devenu une icône du Rif. Rencontre avec un personnage étonnant et détonnant.

 

(Important: ce portrait a été publié dans le numéro 766 de TelQuel, du 26 mai au 1er juin. Il date donc d'avant l'arrestation du leader du Hirak et d'autres militants cités dans cet article)

Nous sommes le 18 mai sur la place Mohammed VI au centre d’Al Hoceïma, chef-lieu du Rif. Les jeunes de la ville préparent une manifestation qui intervient après la fameuse déclaration des partis de la majorité gouvernementale accusant les protestataires de servir un agenda étranger hostile à l’intégrité territoriale du pays et de recevoir des fonds de l’étranger à cette fin. La manifestation, qui devait commencer à 15 heures, semble partir dans tous les sens. Soudain, une voiture s’arrête. Le toit s’ouvre. Nasser Zafzafi émerge du véhicule et tous les regards se dirigent vers lui. Il prend la parole quelques minutes avant de s’éclipser. “Silmiya (pacifique, ndlr), ne l’oubliez jamais!”. La consigne sera respectée. C’est qu’on ne discute pas la parole de Nasser Zafzafi. Vers 18 heures, c’est le grand raout. Zafzafi, entouré d’une dizaine de gros bras vêtus de tee-shirts noirs estampillés “sécurité”, s’empare d’un micro. Un silence de mort règne sur la “Place des martyrs”. Tel un chef religieux, il commence par prêter serment. Main droite levée, la foule s’exécute. Jurant devant Allah, les manifestants promettent de “ne jamais trahir le Rif”, et scandent ce leitmotiv. Ensuite, Nasser Zafzafi se lance dans une diatribe-procès sans appel où tout le monde en prend pour son grade : Majidi, El Himma, Elomari, les “officines politiques”... Un dénominateur commun à ces attaques tous azimuts ? Aucun, si ce n’est une colère longtemps larvée des Rifains dont il est devenu le porte-voix.

Crédit: Y. Toumi/Telquel
 
Allah, al walid, Al Khattabi

Du triptyque “Allah, Al watan, Al malik”, Nasser Zafzafi n’a gardé que Dieu, remplaçant l’Etat et le roi par son père et le leader de la république du Rif, Abdelkrim El Khattabi. Plus tard dans la soirée, il est installé dans le restaurant d’un hôtel du centre-ville. Ses gardes du corps ne sont plus là. Des militants du Mouvement culturel amazigh (MCA) prennent des selfies avec lui. Il semble pressé. Mayssa Salama Naji, la fameuse blogueuse, l’attend pour dîner. “Je mange du poisson et on me reproche la quantité sur ma table”, ironise Nasser Zafzafi, en allusion aux commentaires ayant accompagné une de ses photos aux côtés de Mayssa, dégustant un plat de poissons bien garni. Le lendemain, en tongs et tee-shirt pistache bon marché, il nous rejoint à 500 mètres de chez lui. Puis, comme il ne cesse de serrer des mains et de répondre au salut rifain (amazigh aussi : index, majeur et annulaire levés en signe de victoire), pour plus de tranquillité, il nous propose d’aller chez lui. Il habite à “Diour Lmalik” (Les maisons du roi), un quartier de maisonnées basses remontant à la fin des années 1950, bâties sur des terres Habous sur directive de Mohammed V. Des logements modestes qui ont été cédés à leurs occupants sur ordre de Mohammed VI.

Une odeur de cuisine familiale émane de la maison où Nasser Zafzafi a vu le jour en 1979. Dans le petit salon d’où il s’est rendu célèbre par ses live, rien n’est laissé au hasard. Chaque mètre carré est exploité de manière optimale, à la manière des Japonais. Au milieu d’une bibliothèque bien rangée, pleine d’ouvrages religieux, trône le portrait de Mohamed Zafzafi, l’oncle paternel de Nasser et ancien compagnon de Abdelkrim El Khattabi. Il a été assassiné en 1972 près de Larache. Et, évidemment, on retrouve le portrait de celui que les Rifains appellent Moulay Mhand (El Khattabi). “Bien sûr, je ne leur arrive pas à la cheville”, affirme le jeune leader du Hirak.

Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Videur et leader

Avant le Hirak, Nasser Zafzafi était un parfait anonyme, sauf pour les quelques dizaines de personnes qui suivaient ses podcasts sur les réseaux sociaux. Une logorrhée en darija et en rifain où il fustigeait l’Etat jacobin sans cacher sa sympathie pour le modèle républicain. “Je n’étais pas un as à l’école et j’ai eu beaucoup de mal à parvenir jusqu’à la deuxième année du lycée”, admet-il, non sans réticence. “Comme élève, il était plutôt effacé”, témoigne son ancien professeur d’arabe au lycée Imam Malik, qui a eu, comme autre élève, un certain Ilyas Elomari.

Nasser Zafzafi quitte les bancs de l’école et commence une série de petits boulots. “J’ai travaillé dans l’agriculture, dans des cafés, des restaurants. J’ai aussi été videur dans un bar pendant cinq ans”, énumère Zafzafi, le regard menaçant. Très bon en basketball, il finit par délaisser le ballon orange pour le volley-ball et entame une carrière avec le club Ittihad Islami Al Oujdi. Juste avant le Hirak, il gérait, comme associé, une boutique de téléphones portables. “D’où mon iPhone 7”, nous lance-t-il, comme pour se justifier d’avoir un portable pas donné. De quoi vit-il, sachant que la retraite de son père ne dépasse pas 1000 DH ? “Comme tous les Rifains. Il y a la famille et le système D. Une fois épuisé le petit capital dont je dispose, je me remettrai au travail. Pour gagner ma vie, je suis disposé à prendre n’importe quel job”, explique le leader rifain.

Crédit : Yassine Toumi/TELQUELCrédit : Yassine Toumi/TELQUEL

L’espadon de la révolte

Beau gosse et beau parleur, Nasser Zafzafi abandonne le militantisme virtuel le 28 octobre 2016. Ce jour-là, le poissonnier Mouhcine Fikri est mort écrasé dans une benne à ordures près du Tribunal de première instance et du siège central de la DGSN à Al Hoceïma. Le futur chef du Hirak est l’un des premiers arrivés sur place. Quand il prend la parole, un cercle se forme rapidement autour de lui. La légende Zafzafi est née à ce moment-là. Par la suite, et depuis plus de sept mois, il est au cœur de toutes les manifestations, à Al Hoceïma et ailleurs dans le Rif. Pour la première fois dans l’histoire du Rif, et depuis la disparition de Moulay Mhand, la contestation a un nom. “Nous sommes tous des Zafzafi”, pouvait-t-on lire sur les tee-shirts de dizaines de jeunes, le 18 mai, jour de la manifestation monstre sur la place Mohammed VI. “Mais attention, insiste le jeune Rifain d’un air faussement modeste, si le Hirak est sacré, Zafzafi ne l’est pas”

Néanmoins, le jeune leader au regard dur et à la langue acérée a trouvé son public. Ses discours enflammés (un euphémisme) en darija et en tarifite, où il n’épargne personne et semble n’avoir peur de rien, plaisent. Et qu’importe s’il débite des attaques sans queue ni tête ou qu’il incendie tout le monde sans distinction : les partis politiques (qu’il surnomme officines), les ONG, l’Etat, les commis de l’Etat… “C’est vrai, il m’arrive d’être à côté de la plaque, admet-il, mais j’essaie de rattraper le coup. Des universitaires et des intellectuels m’appellent assez souvent pour me dire de rectifier le tir et je les écoute”. Un Zafzafi qui a le sens de l’écoute ? “Il a fait le vide autour de lui, préférant s’entourer de gens qui ne lui opposent aucune résistance et applaudissent tout ce qu’il raconte”, nous déclare un membre du Hirak qui a pris ses distances avec Nasser Zafzafi. Dans le jargon des Casablancais, il serait cantonné à la case “Ghoufal” (quelqu’un qui vous vend du vent, les yeux dans les yeux). Mais dans le Rif, le profiling est différent, plus conciliant avec un leader qui saute du coq à l’âne, mêlant dans un même discours le Makhzen, le PAM, Lalla Salma et les attaques contre de parfaits anonymes.

Graine de populiste 

Avec Nasser Zafzafi, il n’y a pas de juste milieu. Ou bien on est avec lui, ou bien on est contre lui. Les journalistes qui critiquent sa démarche sont forcément des suppôts du Makhzen qui travaillent pour la “Sahafa assafra’e” (presse jaune, de caniveau). Les membres du Hirak qui essaient de le raisonner sont tout simplement accusés d’être des vendus ou d’avoir retourné leur veste. Jouant sur la corde du populisme, son discours fait mouche auprès d’une audience constituée essentiellement des jeunes de la ville, qui ont trouvé en lui un déversoir de leur colère et le vecteur de leur frustration inaudible jusque-là. “Nasser s’attaque trop aux gens. Il va pousser le mouvement à l’implosion et faciliter le travail du Makhzen”, affirme un activiste rifain. Ainsi, selon Nasser Zafzafi, Abdelouafi Laftit est un “pion” et Mohamed Yaâkoubi, le wali de la région, est encore moins que cela. Et si, demain, le Hirak était amené à négocier avec ces “pions”? “S’ils sont mandatés par le roi, cela change tout”, répond, de manière évasive, Nasser Zafzafi. Il veut négocier avec Mohammed VI, directement, souhaitant s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints. Il juge, surtout, que la délégation ministérielle dépêchée en urgence est venue avec pour seul but de faire capoter le Hirak. “Je ne veux rien savoir. Si Mohammed VI envoie des responsables mandatés par lui, qu’il le fasse savoir publiquement”, affirme Nasser Zafzafi. “Il est devenu imbu de sa personne et son cas s’est aggravé depuis qu’il a été propulsé au-devant de la scène, faisant se déplacer la moitié du gouvernement. Dure sera la chute !”, dit de lui un de ses anciens camarades de classe. Et, en plus d’être au centre du Hirak, Nasser Zafzafi semble investi d’autres missions. A le voir faire prêter serment à des dizaines de milliers de manifestants, on se croirait en présence de quelque ayatollah. “Je suis musulman, tout simplement”, nous répond-il quand on l’interroge sur ses références idéologiques.

Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Financement, quel financement ?

Le ministre de l’Intérieur, en réunissant les patrons des partis de la majorité, a insinué que les leaders du Hirak recevaient des fonds de l’étranger pour financer leur mouvement. Nasser Zafzafi jure ses grands dieux qu’il n’en est rien. “Si on suit le raisonnement du Makhzen qui nous accuse de recevoir des fonds de l’étranger, c’est tous les Rifains qui doivent se retrouver derrière les barreaux. Le Rif survit grâce aux transferts d’argent provenant des MRE originaires de la région”, martèle-t-il. Des propos similaires à ceux tenus par les autres leaders du Hirak. “Des Rifains émigrés en Europe envoient de l’argent à leurs familles et en destinent une infime partie au Hirak. Où est le mal ?”, s’insurge Nabil Ahamjik, qu’on qualifie de “dynamo” du mouvement contestataire. Avant de poursuivre : “Par sympathie pour le mouvement, des prestataires de services (imprimeurs par exemple, ndlr) refusent de se faire payer. Tout comme des chauffeurs de taxis ou des tenanciers de cafés et de restaurants. Faut-il pour autant emprisonner tout ce beau monde ?”

Relancé sur cette question de financement, Nasser Zafzafi finit par sortir de ses gonds. “C’est l’Etat marocain qui reçoit des financements étrangers de toute part, de l’Europe comme des pingouins du Golfe”, rétorque-t-il, en partant dans une diatribe contre les ressortissants des monarchies pétrolières qui auraient mis la main sur la région pour “violer femmes et enfants”. Carrément. Pourtant, du côté du ministère de l’Intérieur, à Al Hoceïma, une source nous assure que “des fonds étrangers financent le mouvement contestataire. Nous disposons d’assez de preuves et l’opinion publique en prendra bientôt connaissance”. Fixant sine die la publication des documents prouvant ces dires.

Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL
Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Et l’après-Hirak ?

Que deviendra Nasser Zafzafi après le Hirak ? “Je ne céderai sur rien. Je ne suis pas vénal et l’argent n’est pas une motivation. Je peux faire n’importe quel travail, du moment qu’il me permette de subvenir à mes besoins, qui sont très limités”, répond le leader du mouvement contestataire. Il affirme que lui, mais aussi d’autres leaders du mouvement, auraient été approchés par les autorités pour essayer de les soudoyer de plusieurs manières : offres de travail, avantages divers… “On m’a envoyé des émissaires pour me dire que je pouvais demander ce que je voulais, mais je ne suis pas intéressé. J’ai fait le serment de servir le Rif d’abord et avant tout”, s’énerve Nasser Zafzafi. Et à ceux qui affirment qu’il aurait une dent contre le Makhzen parce qu’il a échoué à trois reprises au concours de la police, il soutient : “C’est faux ! Et même si j’avais intégré les rangs de la police, j’aurais jeté mon uniforme pour rejoindre le Hirak. D’ailleurs, les pauvres policiers qu’ils dépêchent dans cette région devraient eux aussi se rebeller”. Prétentieux ? Peut-être, mais pas surprenant de la part de quelqu’un qui doute de tout le monde. Et qui, pire encore, semble croire dur comme fer à une suprématie de la “race rifaine”, qu’il justifie par la marginalisation dont a souffert la région pendant des décennies.

Alors que la rencontre tire à sa fin, Nasser Zafzafi nous fait une confidence pour le moins étonnante. “J’ai réalisé un testament sous forme de vidéo et je l’ai confié à mon père. S’il m’arrivait quoi que ce soit, il va le diffuser à grande échelle. Sur cette vidéo, je désigne, par ordre, les noms de mes successeurs”, affirme Nasser Zafzafi. De l’homme providentiel, porteur de revendications justes, au mégalomane, il n’y a qu’un pas.

Sa galaxie

Pour calomnier les leaders du Hirak, les mauvaises langues à Al Hoceïma les appellent les membres du “Comité de Galaxy”, en allusion au café où Nasser Zafzafi et ses proches lieutenants tiennent leurs réunions.

Mohamed Jelloul

jelloul

Il a été l’un des leaders du Mouvement du 20 février. En 2012, il est arrêté après de graves incidents à Beni Bouayach, une autre localité d’“irréductibles”. La justice l’a condamné à cinq ans de prison.

 Nabil Ahamjik

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Diplômé en comptabilité et francophone, il est le lieutenant de Zafzafi le plus en vue. Contrairement au leader du Hirak, son discours est structuré. Il est “l’auteur” du mouvement, beaucoup des slogans scandés lors des manifestations étant écrits par lui.

Mohamed Mejjaoui

Mohamed Mejjaoui

Ce professeur est l’une des chevilles ouvrières du Hirak. Fort d’une longue carrière de syndicaliste et activiste en vue au sein
du Mouvement du  20  février, c’est l’une des cautions intellectuelles du mouvement contestataire.

 Mohamed Asrihi

Med El Asrihi

 Très discret, ce journaliste du site Rif24 apporte son expertise d’homme des médias. Il conseille le Hirak concernant tout ce qui touche à la communication.

 

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