Yawatani

Arborant des jellabas flashy et des tenues pop-rock, spécial selfies,Mohammed VI a fait de son excentricité vestimentaire une véritable arme marketing en direction des plus jeunes de ses sujets. Qui en redemandent.

Eté 1999. Le roi est mort, vive le roi ! La passation se déroule exceptionnellement bien. Surtout aux yeux de ceux, nombreux, auxquels on avait expliqué, leur vie durant, qu’après Hassan II, le déluge. Bouleversant les us et coutumes makhzéniens, le nouveau monarque écourte la période de deuil, annonçant par là, d’emblée, sa marque de gouvernance : le pragmatisme. Le pays dont il est nouvellement en charge n’a pas les moyens d’arrêter de fonctionner.

L’administration est sommée de reprendre son activité au plus vite. Jusque-là, tout va bien. Mais — car il y a toujours un mais dans ces cas-là — les hauts représentants de ladite administration sont paniqués par un détail de taille, auquel, semble-t-il, personne n’a songé. Faut-il décrocher les immenses photographies du défunt roi, trônant depuis toujours au-dessus de leurs têtes, derrière leurs bureaux ministériels ou directoriaux, pour les remplacer par l’effigie du nouveau boss ? Qui oserait ? Surtout, en l’absence de toute directive officielle.

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Et de directive, il n’y a pas. Non seulement “on” ne leur dit rien, mais, contrairement à la majorité des chefs d’État de par le monde, celui qu’on ne tardera pas à surnommer affectueusement M6, n’a pas daigné se plier à la tradition de la photographie officielle actant toute accession aux responsabilités suprêmes.

Seulement, la nature ayant horreur du vide, dès les lendemains des grandioses funérailles du légendaire — mais quelque peu oppressant — despote éclairé, les trottoirs des rues des principales villes du royaume se remplissent d’étals spontanés, proposant au chaland différentes prises de vues de l’ex-prince héritier, dans différentes tenues et situations. Plus ou moins “volées”, plus ou moins intimes. Des images devenues iconiques en un rien de temps. Sachant que nous sommes encore dans l’ère ante-réseaux sociaux. Des années plus tard, Mohammed VI finira par commander une photo officielle, assis sur le trône.Une photo jamais actualisée.

Jet-ski et taguia marrakchia 

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Spontanément, le petit peuple fait son choix. Tandis que les médias internationaux mettent en exergue un ex-jeune prince exhibant un corps musclé et doré par le soleil, juché sur un jet-ski, la photographie qui envahit l’intérieur des échoppes marocaines — de l’épicier du coin au barbier, en passant par le marchand de cacahuètes — représentait un Mohammed VI à la barbe de quelques jours, en T-shirt et bretelles, le chef couvert d’une taguia marrakchia . Les premiers retenant l’aspect riche héritier — à l’insouciance forcément coupable—, les seconds privilégiant celui d’un “ould chaâb”, certes swaggy, mais pas plus que tout autre jeune Marocain populaire urbain “lebbass”.

Le roi aime la sape. Pas encore déclarée, la bataille de l’image était gagnée, du moins auprès d’une large majorité de jeunes. Avant d’être le “roi des pauvres”, M6 fut donc le “roi des jeunes”. Le coup avait-il été sciemment prémédité ? Rien ne nous permet de l’avancer. Aucun spin-doctor ès communication vestimentaire n’ayant, à ce jour, été détecté dans l’entourage du roi.

Des princesses libérées de Hassan II

Durant ses premières années de règne, Mohammed VI ne s’est pas particulièrement démarqué vestimentairement lors de ses sorties médiatiques. La sobriété de ses costards Armani tranchant avec ceux, bien plus voyants, de Hassan II, signés Smalto. L’attention du public a, en revanche, été particulièrement sollicitée par les nouvelles tenues et coiffures, jusqu’ici inusitées, des princesses. Les familiers des arcanes du Palais savaient que, de son vivant, Hassan II ne permettait aux princesses ni le port du pantalon, ni les cheveux lâchés, en public. Tailleur-jupe ou caftan et chignon ayant été érigés, par lui, en règle inviolable.

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Avant de se donner lui-même du lest, Mohammed VI a commencé par libérer ses sœurs de ce carcan, avant de présenter à son peuple la future mère de ses enfants, dont la longue et flamboyante chevelure rousse et bouclée a longtemps fait parler dans les chaumières. Outre sa coiffure, Lalla Salma ne tarde pas à marquer son style de première dame de l’histoire des Alaouites par quelques innovations. D’autant plus notables que fort modestes. Suivant, timidement, la mode des grandes bourgeoises marocaines, elle ose des caftans aux couleurs pastel, à l’encolure légèrement fendue, relevée d’un soupçon de col Mao, surchargés de broderie de surcroît. Tenues qu’elle rehausse, systématiquement, par le port de rivières d’émeraudes et/ou de diamants et autres impressionnantes halaqat assorties, en forme de poire, néo-andalouses. Sur ces points, elle ne sera pas suivie par les princesses de sang, lesquelles resteront fidèles au sobre caftan makhzani, à peine relevé d’une mdamma et de discrets cabochons aux oreilles.

Comme pour mieux marquer leur distance avec la nouvelle venue, pour ne pas dire l’intruse — les tensions sourdes entre la mère des enfants du roi et les filles de Hassan II, sur de subtiles problèmes de préséance, ayant vite fuité du palais. Question : les innovations de la nouvelle princesse relèvent-elles de son unique initiative ? Sont-elles une courageuse marque d’indépendance ? Il serait bien naïf de le croire. Mohammed VI ne va pas jusqu’à adopter les principes, quasi maniaques, de contrôle qu’exerçait Hassan II sur les tenues de son entourage immédiat, comme en témoigne Malika Oufkir dans son livre La prisonnière, où elle raconte comment le défunt roi choisissait de pied en cape les tenues de ses propres fillettes comme de leurs camarades.

Crédit: Nissae Min Al Maghrib

Mohammed VI exercerait néanmoins, selon de nombreux témoignages, un droit de regard certain sur celles des princes et princesses, du moins en cas de sorties ou photographies officielles. Parmi ces dernières, celle, publiées, en avril 2007, par les mensuels féminins Nissae Min Al Maghrib et Citadine avaient particulièrement marqué l’opinion. Prise au palais royal de Rabat, on y voit, dans une souriante et sereine harmonie, un monarque détendu, entouré du prince héritier Moulay El Hassan, de son frère, de ses sœurs, ainsi, évidemment, que de Lalla Salma portant dans ses bras Lalla Khadija, encore tout bébé. Tous ces beautiful people sont habillés en beldi, dans un camaïeu de blanc, de beige et d’or, délicatement rehaussé d’une touche de bleu pastel. C’est une des premières fois où le roi, suivi de son frère, se départit, dans un cliché officiel, de la traditionnelle jellaba, au profit d’une farajia — ou qmis, comme on dit aujourd’hui.

S’agissant d’une photo d’intérieur, à caractère familial, personne n’avait, à l’époque, relevé l’innovation. Cette photographie marquante a été le fruit d’une initiative marketing concoctée dans les bureaux feutrés du cabinet royal. “J’ai reçu un jour un coup de fil de Samira Sitaïl (directrice de l’information de 2M, ndlr) me demandant des informations sur nos supports féminins”, nous racontait l’ex-directrice de publication de Femmes du Maroc et de Nissae Min Al Maghrib, Aïcha Sakhri. Mohammed VI désirait qu’on marque,  par une photo de famille, la naissance de la princesse Lalla Khadija. À l’époque, cette série de clichés a été interprétée comme un moyen de mettre fin aux critiques de la presse marocaine qui reprochait au souverain de ne poser que pour Paris Match. La séance a été, en partie, possible grâce au culot de Leila Benyassine, alors rédactrice en chef de Nissae Min Al Maghib, laquelle a usé, pour obtenir ce scoop, des liens qu’elle avait gardés avec les princesses du temps où elle fréquentait le collège royal.

Jellabas pop et flashy

Arrivée de SM le Roi à Kigali pour une visite officielle au Rwanda

Arrivée du roi Mohammed VI à Kigali pour une visite officielle au Rwanda

Petit à petit, les Marocains vont s’habituer à voir leur souverain arborant des tenues beldies de plus en plus “fantaisie”, alternant , régulièrement, qmis et néo-jabadors, généreusement bordés de sfifa et autre passementerie traditionnelle, taillés dans des tissus aux motifs et aux coloris jusque-là inédits, repoussant, toujours plus loin, les limites du bon goût telles qu’admises dans les salons de la bourgeoisie d’Anfa. Celle-là même habituée à donner le la en la matière. Si le peuple et la cour suivent — les uns par goût, les autres par métier —, nombre de docteurs et doctoresses autoproclamés en esthétique du vêtement beldi marocain grincent des dents : “Ewa lawah, bezzaf. Lwahed houwa li qiyyess  !” (trop, c’est trop. Un peu de mesure !). La dernière panoplie de jellabas — incroyablement pop et flashy — que M6 a déployée lors de ses récents périples africains a enfoncé le clou. Entre les aficionados du style beldi de Mohammed VI — de loin, les plus nombreux — et les quelques esthètes puristes qui lui sont réfractaires, le débat fait rage.

Nous pouvons, néanmoins, rappeler à ce sujet quelques vérités historiques. En innovant — certes de manière particulièrement intempestive — au niveau du vêtement masculin marocain, Mohammed VI ne fait que suivre les pas de ses prédécesseurs : la jellaba de Hassan II n’étant, loin s’en faut, pas celle de Mohammed V, lequel avait lui-même rompu avec les vieilles traditions makhzéniennes en la matière. La seule rupture principale étant, de l’avis de ce spécialiste du costume marocain ayant requis l’anonymat, l’abandon par le Commandeur des croyants du blanc intégral, au profit de ce jaune d’or pâle, lors des cérémonies cultuelles et rituelles importantes, telle celle de la Beya.

Selfies, en veux-tu en voilà

En effet, rappelle notre expert, si le Maghreb, de la Libye au Maroc, se distingue par le port systématique du blanc, à la différence de tous les autres pays du Machrek dont l’uniforme reste le noir, c’est pour une raison historique fondatrice : le blanc étant la couleur officielle des Ommeyyades, jadis chassés vers les terres du Maghreb et de l’Andalousie par les Abbassides, dont la couleur est le noir. Mais ceci est une autre histoire, d’ordre quasi théologique, dont les subtilités échappent au commun.

INDH: SM le Roi lance l'aménagement de 17 terrains de sport de proximité à la préfecture d’arrondissements de Moulay Rachid

Le roi Mohammed VI lors du lancement de  l'aménagement de 17 terrains de sport de proximité à la préfecture d’arrondissements de Moulay Rachid

Ce qui fait, en revanche, réagir tout un chacun est l’incroyable engouement provoqué par le déferlement sur les réseaux sociaux des selfies pris — et tout aussitôt postés — par nos jeunes compatriotes d’ici et d’ailleurs, lorsqu’ils croisent sur leur chemin un M6 en tenue plus que décontractée, totalement pop-rock, sourire généreux et disponibilité en prime.

King Of Morocco-19

 

Comme l’ont souligné nombre de commentateurs, dont des observateurs étrangers avisés de la vie politique nationale, tel un François Soudan de Jeune Afrique en contact avec les cercles décisionnels marocains, une telle orgie de selfies, ayant pour objet Mohammed VI, en “apartés” vestimentaires et comportementaux, ne saurait être fortuite. Elle se situe à des années- lumière de la fameuse hiba que les Chorfa à la tête de l’empire de l’Extrême-Couchant (Maghreb Al-Aqsa) ont longtemps utilisée comme élément de sacralisation de la personne du roi.

Diffusées, notamment via le compte Facebook, crédité de 3,5 millions de likes, alimenté par Soufiane El Bahri (un aficionado du souverain dont personne ne sait le statut officiel), les images d’un M6 arborant tantôt une veste en croco lamée, tantôt un débardeur échancré en batik couleur arc-en-ciel, telle veste taillée dans un wax africain ou ce T-shirt local à slogan, ne sauraient être le fruit du hasard. Ces selfies relèveraient bien d’une stratégie marketing des plus étudiées. Mais qui l’a donc concoctée ? Le roi des jeunes, vous dit-on.

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