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La région Euro-med est boiteuse. Une Europe rayonnante et un Maghreb croupissant. Comment remédier à cette situation, surtout qu’un nouvel espace économique prend forme? Des concepts comme le codéveloppement ou l’intersolidarité cristallisent un futur commun. Le quotidien économique marocain l’économiste a interrogé des personnalités du domaine économiquo-politique.

Lahlimi Alami, Haut commissaire au plan
• L’Economiste: Quelle perception avez-vous du Maghreb économique?
- Ahmed Lahlimi: Les politiques économiques maghrébines ont créé des disparités. Chaque pays a développé un rapport vertical avec le Nord. Les uns ont joué la carte énergétique, d’autres touristiques ou agricoles… Cette situation a provoqué des déséquilibres entre régions (Nord-Sud) et entre pays nord-africains. L’idée est de relancer les échanges intra-maghrébins. Le Maroc a évidemment d’autres alternatives: création d’ensembles économiques avec les pays ibériques, développement des relations commerciales transatlantiques (Mercosure, Alena…). Le Forum «Maroc 2030» appelle les Maghrébins à développer leurs complémentarités, en faisant jouer l’axe méditerranéen, africain et transatlantique.

• Peut-on construire le Maghreb sans régler le dossier du Sahara?
- Il va nécessairement le dépasser. Le Maroc propose une nouvelle alternative à ce conflit artificiel. De plus, la globalisation pose des problèmes sécuritaires au Sud du Maghreb. Cette situation exige l’existence d’Etats forts et solidaires. Les pays du Maghreb sont donc condamnés à s’entendre. Il y a un autre aspect à ne pas négliger: le renouvellement des générations. Un processus qui génère une réinvention des élites. Le 21e siècle ne peut pas avoir des scénarios similaires au 20e siècle. Le monde change et nous avec.

Christian de Boissieu, Président délégué du Conseil d’analyse économique
• L’Economiste: Comment est perçue la mondialisation par les rives Nord-Sud?
- Christian de Boissieu: Elle est vécue plus comme une contrainte qu’une opportunité. Il y a un paradoxe entre le discours politique et le rejet psychologique des citoyens. Un défaut d’explication et de transparence existe. Le débat doit identifier clairement les perdants et les gagnants.
Les systèmes de gouvernance sont en décalage par rapport au rythme d’intégration économique. C’est l’exemple d’un avion où il y a plusieurs pilotes mais personnes ne prend le gouvernail. Certes, des mesures ont été prises. Elles sont toutefois latérales.

• La volatilité du taux de la croissance est aussi un défi…
- Certainement. Distinguons entre la croissance effective et potentielle. Une économie qui a un taux de croissance de 5 à 6% n’est pas à l’abri. Les pays méditerranéens doivent développer leurs croissances potentielles. Je pense aux gains de productivité, IED … La priorité pour le pays du Maghreb est de stimuler l’investissement, surtout dans la haute technologie. Il faut doper les PME aussi. Le financement non coté (private equity) est nécessaire pour relever la croissance potentielle(1). Il faut revoir aussi les formules de coopération. Je pense au 5+5, à l’accord de Barcelone...
Une chose est certaine: l’avenir de la région euromed est lié. Nous sommes tous dans le même bain... de la mondialisation. L’intégration économique n’est pas un choix mais une obligation.

L’amiral Jean Dufourcq, chef de l’académie de recherches à l’OTAN

• L’Economiste: Quel est le futur possible pour la zone euromed?
- L’amiral Jean Dufourcq: Il y a des intérêts entre pays de l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord (capital humain, projets…).
Il y a aussi des défis (sécurités, écologie…). Ce sont là quelques éléments auxquels nous devrions faire face d’ici 2030. Nos sociétés sont fragiles (précarité économique, insécurité, crise écologique…). La sécurité revient ainsi au premier plan. Sans doute à tort. Il faut surtout se focaliser sur le regroupement de nos intérêts communs. Le temps presse.

• Vous parlez de passerelles. Englobent-elles la notion de codéveloppement?
- La notion de codéveloppement est un principe économique. Mais son angle culturel est prometteur aussi. Je suis convaincu par la richesse des échanges. L’Europe travaille plus sur l’Islam que vous ne le faites. Elle renverra, fort probablement, des idées nouvelles là-dessus.
Le Maghreb propose aussi une réflexion sur des valeurs comme la famille, la solidarité... C’est un exemple d’échange positif. Je reste optimiste.

Dominique David, directeur exécutif de l’Institut français des relations internationales
• L’Economiste: Comment évaluez-vous les rapports entre l’Europe et le Maghreb?
- Dominique David: j’ai un regard un peu désabusé. C’est déraisonnable que les compétitions de souveraineté émiettent le Maghreb économique, stratégique… L’UMA peine à se réaliser parce que ce projet a été suggéré en partie par les Européens. Il a été surtout plombé par le modèle européen. L’idée est de repérer d’autres voies de coopérations économiques, universitaires, intellectuelles… Ces solidarités concrètes vont spontanément relancer une restructuration politique. C’est la démarche amorcée par le HCP.

• Quel risque géostratégique pèse sur le Maghreb ?
- Tout acteur se rêve d’être un sujet géostratégique. L’espace euroméditerranéen est à moitié déconstruit. Sans union, le Maghreb deviendra un objet géostratégique. Les pays maghrébins n’ont pas un poids décisif. Ils seront ainsi manipulés par d’autres groupements. L’Algérie négocie son rapprochement avec l’Otan. C’est son droit. Mais elle risque d’être instrumentalisée. Plus les Nord Africains agiront individuellement plus le risque augmente. Comment dépasser ce statu quo? C’est à vous de trouver la solution. Les situations historiques ne sont jamais désespérées. La France et l’Allemagne l’ont prouvé.

Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation de recherche stratégique
• L’Economiste: Quelle évaluation faites-vous du Maghreb?
- Jean-François Daguzan: Le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace vers l’Asie. L’enjeu est de se positionner dans cette nouvelle carte qui se dessine. L’UE doit s’appuyer sur le Maghreb. Celui-ci est l’arrière-cour économique des Européens. Ce n’est pas péjoratif. Nos économies sont fondamentalement liées. Il faut reconstruire ensemble un espace compétitif, du moins en Méditerranée occidentale.

La question migratoire ne biaise-t-elle pas cette approche?
- L’émigration se gère à deux. Le Maghreb à lui seul ne pourra pas le faire. L’UE regarde la Méditerranée comme une clôture. Elle ne doit pas la gérer comme une périphérie. Le terrorisme notamment renforce cette vision. Le codéveloppement est une carte à jouer. Le danger est qu’une économie faible augmente les risques de violence.

Tran Van-thinh Paul, ancien négociateur de l’UE pour le commerce international
• L’Economiste: Comment vous voyez les relations euro-maghrébines?
- Tran Van-thinh Paul: La sécurité d’Europe passe par le développement de la ceinture verte (Maghreb musulman). Le Maroc est le pays pivot des relations Nord-Sud. Il faut jouer sur cet atout avec l’Asie et les pays transatlantiques.

• Qu’est-ce qui vous pousse à le croire?
- Les pays se renouvellent à travers les générations. Le Maroc est un modèle en pleine construction. Il doit mener à terme ce chantier s’il souhaite renforcer son rôle. Je crois au Maghreb des projets.
L’Europe doit l’encourager par un codéveloppement. Il faut mettre fin aux formules de raccommodage économique. Je pense notamment au processus de Barcelone.

Source : www.leconomiste.com
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(1) On entend par « private equity « l’investissement majoritaire ou minoritaire dans des sociétés non cotées, sous forme d’actions ou d’instruments convertibles en actions, en vue de dégager une plus-value à moyen terme.

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