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- Publication : 21 avril 2016
Ne vous méprenez pas. C'est une énième polémique sur le voile. Rien de neuf à l'horizon, donc.
Il est vrai que, quand la ministre française des droits des femmes (que l'on entend d'ordinaire si peu), s'insurge en public, on est étonnées de ne pas l'entendre parler, par exemple, de l'écart des salaires entre hommes et femmes en France, qui reste dramatique. Mais, au contraire, de sapes, de fringues, de mode. Pas n'importe quelle mode, me direz-vous. La mode dite "islamique", cette fameuse mode qui effraie, qui dérange.
La mode "islamique", c'est quoi? En réalité, c'est une mode qui s'adresse à toutes les religions (y compris, donc, aux femmes de confession chrétienne ou celles de confession juive qui appliquent les exigences vestimentaires propres à leurs cultures et qui peinent à trouver des vêtements dans les grands magasins).
Vous l'aurez compris, ce n'est rien de plus que des vêtements un peu couvrants et quelques foulards... Pas de quoi en faire un foin. Mais il faut croire que si. Il est sûr que je me sens obligée de m'intéresser à cette question (et pas seulement parce que c'est là, à la télé, à la radio, sur Facebook, tous les jours, toutes les heures, juste sous mon nez). Surtout après les propos de Pierre Bergé, créateur de mode (qui vit au Maroc).
Pierre Bergé affirme donc être scandalisé: "Après 40 ans auprès de Yves Saint Laurent, j'ai toujours cru qu'un créateur de mode était là pour embellir les femmes, pour leur donner la liberté, pas pour être complice de cette dictature abominable qui fait qu'on cache les femmes, qu'on leur fait vivre une vie dissimulée".
Merci, Pierre, mais les femmes n'ont pas besoin d'un homme pour leur 'donner' la liberté: on la prendra nous-mêmes. Les musulmanes non plus, ne t'ont jamais demandé de les libérer d'une domination particulière. Sans compter que parler de "dictature abominable", en parlant de voile, serait occulter totalement la parole de toutes ces femmes voilées qui revendiquent un choix... Ou les prendre pour des idiotes qui ne comprennent pas les ressorts des violences psychologiques qu'elles subissent.
Il est tout de même risible que ce soit précisément Pierre Bergé qui réagisse à cette "mode islamique" ou qu'il parle de "convictions", alors que lui-même promeut une mode anti-féministe au possible. N'est-il pas paradoxal, pour quelqu'un qui veut "affranchir" les femmes à travers le monde, de promouvoir le modèle d'une femme blanche et pâle, à demie-nue et maladivement maigre, comme idéal de beauté?
Comment expliquer qu'un homme, qui est si préoccupé par le sort des femmes, s'attache à les complexer toujours plus, à tel point qu'aujourd'hui la grande majorité d'entre elles ont honte de montrer leur corps, participant à la dangereuse glamourisation de l'anorexie, qui fait de plus en plus de victimes féminines chaque année? Pire encore, Pierre Bergé voudrait "nous apprendre à (nous) dévêtir", tout en s'insurgeant qu'on nous dicte une conduite... C'est à ne rien comprendre.
Vous l'aurez compris, le problème ici, ce n'est pas la liberté de la femme ou son émancipation du regard de l'homme. C'est encore une fois le voile, le foulard, le fichu "islamique". Depuis plusieurs années déjà, il est au centre des préoccupations (c'est d'ailleurs assez étrange vu la proportion de femmes qui le portent en France, mais passons).
Il paraîtrait donc que l'urgence aujourd'hui, avant le chômage ou les violences conjugales, serait d'arracher aux musulmanes leur voile, de les soustraire à ce terrible instrument d'oppression. Je suis contente de voir que la France post-coloniale continue tout de même sa grande tradition impérialiste de libération des peuples opprimés. Merci, les gars.
Et s'il est vrai qu'il peut être un signe extérieur d'oppression (ce que je crois), n'y en a-t-il pas d'autres, plus visibles au quotidien: comme le maquillage, la lingerie ou le talon aiguille, que l'on mérite d'adresser? Dans les années 70, on luttait contre les tenues traditionnellement féminines... qui sont pourtant très bien acceptées aujourd'hui.
"Détourner le regard des hommes ou l'attirer, c'est la même chose. Cela se fait toujours par rapport aux hommes." C'est là que réside, selon moi (et Christine Delphy), la véritable vision féministe. En France, on ne supporte pas le voile, non pas parce qu'il est un symbole de soumission, mais bien parce qu'il est étranger, exotique, indigène. Non, ce n'est pas l'infériorité des femmes que l'on ne supporte pas... si c'était le cas, on le saurait. nawalsbazaar.fr.
Yawatani.com et huffspot.
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