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- Publication : 3 avril 2016
Mort au burkini! On a assisté cette semaine à une véritable levée de boucliers en France contre Marks and Spencer mais aussi Uniqlo, Dolce&Gabbana, Mango ou encore Tommy Hilfiger. Ces marques qui se lancent sur le créneau de la "mode islamique" seraient "irresponsables" de l'avis de la ministre française des Droits des femmes, Laurence Rossignol.
Le 30 mars, Pierre Bergé, l'homme d'affaires et ancien compagnon d'Yves Saint Laurent, s'est lui aussi insurgé, "scandalisé" par "ces créateurs qui participent à l'asservissement de la femme", se défendant par ailleurs d'être "islamophobe", en soulignant qu'il vit en partie au Maroc.
Après la parution d'un dossier du quotidien Le Parisien sur le sujet lundi, après les réactions de politiques et de personnalités de la mode, "le malaise grandit en France", affirmait l'AFP mercredi.
Cette tendance ne fait pourtant pas autant de vagues en Grande-Bretagne, où les arguments des partisans de la mode musulmane ont plus d'écho.
En Angleterre où le burkini sera vendu par Marks and Spencer, le débat n'est pas aussi vif remarque le Telegraph qui rapporte que la polémique française a même fait réagir les politiques. Dans les colonnes de ce même journal, quelques jours plus tôt,la journaliste Allison Pearson, avait pourtant écrit un article dénonçant vivement "cette mauvaise nouvelle" qu'elle voyait comme "une tentative pour normaliser le traitement du corps de la femme comme étant quelque chose qu'on devrait cacher. [...] Le burkini dit haut et fort 'je ne dois pas être une source de tentation. C'est de ma faute si un homme a envie de moi ou s'il me viole'."
"La preuve ultime que la Grande-Bretagne est vraiment multiculturelle"
Cependant, quand la marque anglaise a annoncé vendre ce genre de maillots de bain qui couvrent le corps de la tête aux pieds, le Daily Mail y a plutôt vu "la preuve ultime que la Grande-Bretagne est vraiment multiculturelle".
"En Grande-Bretagne comme aux États-Unis, cette mode-là ne choque pas autant qu'en France", remarque Hanna Woodhead, doctorante à la faculté de théologie de Genève qui travaille sur la mode religieuse et en particulier sur la notion de pudeur depuis deux ans. Elle cite ainsi en exemple les fonctionnaires musulmanes de la police londonienne dont la tenue comprend un voile, comme celle de leurs confrères sikh, un turban. En France, dans le pays de la laïcité républicaine, les fonctionnaires sont tenus à la neutralité.
Le site américain Mic. montre aussi que si certains internautes anglais ont violemment critiqué l'arrivée de ce nouveau produit, d'autres n'ont pas hésité à applaudir la marque sur les réseaux sociaux parmi lesquels des femmes musulmanes et d'autres non musulmanes comme une certaine Beck qui se demandait "pourquoi tout ce foin autour de Marks and Spencer? Bien sûr que les femmes devraient être autorisées à porter ce qu'elles ont choisi, non? Ou devrions-nous être toutes presque nues en public?"
Une mode plus couvrante pour être "plus libre"
C'est la notion de pudeur ("modesty" et "modest fashion" en anglais) qui pose question. La règle de cette mode dite "pudique" est simple: couvrir de manière ample les épaules, le décolleté, les cuisses, en bref, tout ce qui se trouve au-dessus du genou et du coude. On qualifie cette mode très couvrante de musulmane ou islamique mais elle a en fait séduit plusieurs franges très pratiquantes des trois grandes religions monothéistes comme les chrétiens évangéliques et les juifs ultra-orthodoxes qui revendiquent leur "liberté" de s'habiller comme ils le veulent.
"Au Moyen-Âge, il fallait couvrir le corps de la femme, ce corps qui avait fait chuter l'homme dans la Bible. Le combat féministe a réussi à découvrir le corps féminin, rappelle Hanna Woodhead. Les femmes se sont même mises à porter des vêtements masculins grâce à Yves Saint Laurent par exemple. Aujourd'hui, cette mode pudique s'affirme comme une contre-culture face à une mode sexy, face à un corps féminin qu'on affiche complètement nu pour vendre des rouges à lèvres. Ces femmes entendent se réapproprier le vêtement."
Les adeptes de cette mode qui couvre plus qu'elle ne dévoile sont convaincues que la vraie beauté est faite de couches de vêtements. Certaines comme la créatrice américaine Nzinga Knight n'hésitent pas à aller plus loin en affirmant que s'habiller ainsi est un signe de liberté, une liberté que les femmes dans les sociétés occidentales auraient perdu.
C'est aussi comme ça que Hana Tajima, une blogueuse anglaise et musulmane convertie a conçu sa collection "pudique" pour Uniqlo distribuée sur Internet dans le monde et depuis le début de l'année 2016 aux États-Unis. L'idée n'est pas de cibler, dans le discours, une religion en particulier. "La pudeur varie en fonction des personnes - il n'est pas seulement question de hijabs, il s'agit de trouver des tenues amples et plus couvrantes, en particulier dans les cols et les manches", explique ainsi Hana Tajima à nos confrères du HuffPost américain. Un étrange renversement de valeurs et une "contre-culture" difficile à comprendre en particulier pour les femmes et les hommes qui se sont battus pour que le corps féminin soit moins entravé à une époque où la religion était considérée comme rétrograde.
Un étonnant vecteur de dialogue inter-religieux
Voilées, couvertes, les adeptes de cette tendance ne sont pas pour autant bien vues du reste de leur communauté religieuse. La blogueuse américaine mulsumane Summer Albarcha et deux créatrices juives ultra-orthodoxes ont été vivement critiquées à l'été 2014. Leur faute? Que la première ait posé pour la marque mode new-yorkaise, MimuMaxi, créée par les deux dernières dans un contexte de fortes tensions israélo-palestiniennes.
Summer Albarcha s'est faite connaître en lançant à 16 ans le compte Instagram "Hipster Hijabis", un compte où elle posait comme n'importe quelle autre blogueuse mode du monde: un sourire rare, un maquillage impeccable, des lunettes noires assorties à ses tenues et surtout une collection de hijabs aussi impressionnante que le nombre de ses sacs. Quatre ans plus tard, la jeune femme étudiante dans une école de commerce, a ses entrées à la Fashion Week de New York comme à celle de Dubaï.Summer Albarcha pour MimuMaxi
Comme elle, de nombreuses blogueuses qui revendiquent leur foi ont fait entrer cette mode dans les magazines féminins et sur les podiums. En Grande-Bretagne, c'est Mariah Idrissi, une jeune esthéticienne de Londres d'origine marocaine, qui fut la première femme voilée à poser pour H&M dans la campagne "Il n'y a pas de règle dans la mode". Et elle a subi de plein de fouets de nombreuses critiques de tous bords.
"À travers les entretiens que je mène et grâce à ce que je lis sur Internet, explique Hanna Woodhead, cette mode pudique me semble être un vecteur de dialogue inter-religieux. Certains sites marchands qui s'adressent a priori à des clientes musulmanes publient des témoignages de 'sœurs chrétiennes' par exemple qui témoignent de leur intérêt pour cette mode. Des femmes croyantes qui n'étaient pas particulièrement investies dans ce dialogue se trouvent désormais des points communs et entament une discussion."
Bien sûr, comme le dit la créatrice Agnès B. interrogée dans Le Parisien, il ne faut "pas banaliser un vêtement qui, quoi qu’on en pense, n’est pas anodin pour l’image de la femme", mais ce vêtement plus couvrant peut aussi être "un compromis" pour Hanna Woodhead, "un burkini peut permettre aux femmes qui ne voulaient pas aller à la piscine en même temps que les hommes d'y aller", avance-t-elle, optimiste.
Yawatani.com et huffspot.
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