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- Publication : 3 octobre 2019
Créée en février 2019, la fédération des industries culturelles et créatives, qui dépend de la CGEM, organise avec le ministère de la Culture «les premières assises des industries culturelles et créatives». Le patronat est-il en droit de préempter les arts et la culture au Maroc?
«Les premières assises des industries culturelles et créatives» auront lieu ces 4 et 5 octobre 2019 à Rabat. Cet évènement est conjointement organisé par le ministère de la Culture et de la communication et la fédération des industries culturelles et créatives (FICC), nouvellement créée dans la confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Dans la communication liée à cet événement, nombre de personnes parlent «des premières assises de la culture et des arts, organisées depuis l’indépendance du Maroc».
Selon nos sources, la fédération de la CGEM, présidée par Neila Tazi, est l’initiatrice de cet évènement. Mais au sein du ministère de la Culture, le malaise grandit, en raison des liaisons contre-nature du patronat avec la culture et les arts. On ose à peine imaginer le scandale que cela provoquerait dans un pays comme la France si le MEDEF (l'équivalent de la CGEM) s’aventurait à organiser les assises de la culture.
Alors que le ministère de la Culture et de la communication s’est arrimé à l’initiative de la fédération de la CGEM, le ministre, Mohamed Laâraj répète à qui veut l’entendre que cet événement est organisé par son département.
C’est preuves à l’appui qu’interrogé par Le360, un professionnel du théâtre souhaitant garder l’anonymat le confie: «lorsque nous avons fait part au ministre de notre étonnement quant à l’organisation de ces assises par une fédération du patronat, il nous a assuré que la FICC leur avait simplement soumis cette idée, et qu’ils étaient à 100% les initiateurs de ces assises».
Neila Tazi, pour sa part, infirme ce que dit ce professionnel, mais à demi-mot, sans doute pour ne pas embarrasser le principal partenaire de sa fédération. «Le ministère est notre partenaire» confie-t-elle, contactée par Le360.
Un intitulé en trompe-l’œil
En juillet dernier, la FICC a signé une convention avec le ministère de la Culture et de la communication, et a ainsi entériné une sorte de partenariat public-privé, –mais dans les papiers, et donc en théorie, uniquement.
Dans les faits, la fédération de la CGEM est l’initiatrice de cet évènement. S’il est légitime que les promoteurs de cet événement prennent part à une réflexion globale sur les arts et la culture au Maroc, il est aberrant qu’ils cherchent à en tracer la vision et la stratégie. Et qu’ils ne se réfugient surtout pas derrière l’intitulé de cette rencontre: «les premières assises des industries culturelles et créatives». Le communiqué de presse donne l’ampleur de l’ambition de cet évènement, qui ne se limite pas au levier économique de la culture. Il y est d'ailleurs précisé noir sur blanc que «cinq sujets principaux ont été retenus et seront traités par des intervenants de haut niveau: “richesse des identités culturelles, un capital à valoriser“ ; “l’écosystème culturel en quête d’évolution“; “les synergies et l’inclusion en tant que leviers d’une nouvelle vision stratégique“ ; “la culture, source d’équité, de modernité et de durabilité“ et “les opportunités de marché pour les arts et la culture au Maroc“».
Donc, ce n’est pas à l’aspect «industriel» de la culture et de la création que cette fédération de la CGEM s’intéresse, mais bien à la vision et à la stratégie de la culture et des arts. Est-ce que le fait d’organiser un festival de musique, d’éditer des livres ou d’être à la tête d’une galerie donne le droit de parler au nom de ceux qui composent, chantent, écrivent des romans, des essais, des poèmes, peignent des tableaux, créent des œuvres plastiques ou dressent des sculptures? Les membres de cette fédération de la CGEM ont-ils reçu un mandat pour parler au nom des créateurs et des véritables acteurs de la culture? En organisant ce qui est pompeusement appelé «les premières assises des industries culturelles et créatives», cette fédération, qui dépend du patronat, cherche à mettre sous tutelle les arts et la culture au Maroc. Une ambition impossible. Parce que nombre des grands noms liés à la création et aux arts dans ce pays –les vrais acteurs des arts et de la culture à l’instar de l’artiste peintre Mohamed Melehi, également président de l’Association marocaine des arts plastiques, n’ont même pas été consultés.
N’en déplaise à certains membres de la FICC, comme l’éditeur Abdelkader Retnani, un professionnel reconnu et passionné du livre, qui affirme que «depuis l’indépendance du Maroc personne n’a eu l’idée d’organiser les assises de la Culture. Si une partie se dévoue aujourd’hui pour y remédier, il faut la saluer». Le problème, c’est que cette partie n’a pas de légitimité pour initier une réflexion sur les arts et la culture au Maroc. Le problème aussi, c’est que les forces vives de la culture et de la création ne sont même pas au courant de l’organisation de ce rendez-vous.
Interrogée à ce sujet par Le360, Neila Tazi quant à elle souligne qu’à la création de la fédération et lors des préparatifs de la tenue de son assemblée générale constitutive, des centaines de professionnels ont été informés, démarchés. «Nous n’avons exclu personne. Je suis allée personnellement à la rencontre de centaines de personnes pour leur demander de prendre part à cette fédération mais plusieurs ne l’ont pas fait… », déclare en toute franchise la fondatrice du festival Gnaoua et Musiques du monde. Pourtant, il n’est pas difficile de savoir pourquoi. La CGEM n’est pas la structure adéquate pour fédérer les forces vives des arts et de la culture. Et nombre d’entre elles, à l’instar du cinéaste Nabyl Lahlou, dénoncent une «farce».
Le patron des patrons boude la rencontre
Selon des sources proches de Salaheddine Mezouar, président de la CGEM, ce dernier ne sera pas présent aux assises organisées par la FICC. Officiellement pour «raison d’agenda». On sait bien que cette raison-là sert souvent d’excuse pour ne pas apparaître dans des rencontres gênantes. Et en vieux routier de la chose politique, Mezouar doit comprendre que cet évènement est politiquement incorrect et que le patronat n’est pas en droit de préempter les arts et la culture au Maroc.
A défaut d’avoir consulté les créateurs, le département de Mohamed Laâraj s’active à envoyer des invitations et à relancer des acteurs de la culture, très peu enthousiastes, au demeurant, à faire le déplacement. Mohamed Laâraj, qui est cité parmi les ministres partants de l’actuel gouvernement lors du remaniement à venir, se cramponne visiblement à n’importe quel évènement dans l’espoir de garder son maroquin. Avec ces assises bancales, ce ministre scelle définitivement le bilan désastreux des années qu’il a passées à la tête de la Culture.
le360
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