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- Publication : 14 novembre 2018
La Compagnie Marocaine des Œuvres et Objets d’Art débute sa saison en initiant, pour la première fois, une vente aux enchères dédiée aux différents courants artistiques figuratifs marocains, depuis le XIXe siècle jusqu’au début des années 2000. Voici les raisons des choix de ce nouveau catalogue.
Cette vente, constituée de 45 lots, intitulée «Langages pluriels», s’est imposée dans la programmation de la CMOOA pour permettre, en premier lieu, de faire s'estomper ce sentiment de plus en plus prononcé que le discours de la modernité au Maroc ne prenait pas totalement en compte des artistes de renom, qui ont tous apporté une importante contribution au grand récit artistique national.
Aussi, la figuration en art ne répond pas à une unique définition qui engloberait tous le sens et le poids de ce courant, car elle n’a eu de cesse d’être multiple et de se renouveler dans le temps, portée à chaque fois par de nouvelles idéologies et des groupes d’artistes.
La figuration en art, en sculpture, en photographie, dans les arts textiles et la céramique, a sans cesse tenté de représenter le «visible» apparent aux yeux des artistes soulevant très tôt la question de son rôle: est-ce la représentation de l’apparence ou de la vérité? Le philosophe Platon répond que «c’est l’apparence qui est représentée», tandis que Socrate «plaide qu’elle aide à la connaissance de chaque chose en procurant un plaisir esthétique».
Si en occident l’art figuratif se développe plus vite qu’ailleurs, c’est aussi parce qu’il appuie et accompagne le champ religieux dans les édifices consacrés au culte. Le Naturalisme, qui est un synonyme de «réalisme» est alors un premier genre artistique que l’on distingue par des «représentations mimétiques de la nature». Le paysage, la nature morte, l’urbanisme, les célébrations, sont des sujets qui ont permis aux artistes de pouvoir se rapprocher à travers les âges et les courants jusqu’à un réalisme extrême ou idéalisé.
En opposition, l’art abstrait, qui naît au début du XXe siècle, s’affranchit, lui, du réel et ne donne plus à voir ou suggérer le visible. Il conduit à d’autres schémas de lecture pour puiser dans l’imaginaire.
Au Maroc, le premier artiste européen autorisé à découvrir le Maroc en 1832 est Eugène Delacroix. Il accompagne l’ambassade du Comte de Mornay, venu rencontrer le Sultan du Maroc d'alors, Moulay Abderrahmane. Son voyage, très documenté à travers des notes et croquis, façonneront les premières œuvres d’art connues du Maroc et vont inventer une parenthèse artistique et historique très connue qualifiée d’Orientalisme.
L’Orientalisme désigne plus une période de l'histoire de l'art qu’un courant de peinture établie, et pourrait correspondre à un certain sentiment de fascination, feint ou réel, qu’éprouveront de nombreux artistes à travers le temps pour les pays d’Afrique du Nord, l’empire Ottoman et le Moyen Orient.
Eugène Delacroix en est, à cet égard, le pionnier, ou l’un des tous premiers à tenter l’aventure du voyage en terre d’Islam et rapporter les premières images inventant une idée du Maroc, il appartient, par ailleurs, au mouvement Romantique. Les compositions de ce nouveau genre pictural tentent de s’affranchir du néo-classicisme qui souligne la pureté, la beauté idéale et le rationalisme pour donner à voir l’exaltation, la passion, l’irrationnel et la couleur.
Deux chefs d’œuvres réputés de l’histoire de l’art que je pourrais citer en exemple, sont «le Radeau de la Méduse» de Théodore Géricault, exposé au musée du Louvre, et «l’audience du Sultan Moulay Abderahmane» de Delacroix, au Musée de Toulouse.
Entre 1832 et jusqu’au début du XXe siècle, de grands artistes français, belges, espagnols, américains et de nombreuses autres nationalités viendront au Maroc pour réaliser des scènes où transparaît leur fascination pour un Maroc impérial, préservé de l’industrialisation massive qui gagne leurs contrées.
Ces artistes ne s’installent qu’à de très rares occasions au Maroc ou se fixent durant des périodes plus ou moins longues à Tanger (Alfred Dehodencq, Victor Eeckhout, Sir John Lavery). Avec le protectorat, les choses évoluent notamment à partir de 1912 avec le Maréchal Lyautey, qui fera venir plusieurs artistes au Maroc et favorisera leur installation.
Le XXe siècle en Occident sera, bien sûr, celui de toutes les révolutions artistiques et comptera des mouvements porteurs d’innovations à un rythme haletant.
Au Maroc, la première initiative artistique connue est due à Ben Ali Rbati, au contact de Sir John Lavery. Il est ainsi le premier artiste de chevalet à peindre les scènes de la vie quotidienne entre Tanger et Rabat, durant le premier tiers du XXe siècle.
En 1945 à Tétouan, l’artiste espagnol Mariano Bertuchi, très investi dans la sauvegarde et la protection des arts marocains, crée une école préparatoire pour les jeunes étudiants de cette cité, désireux de rejoindre l’académie des beaux-arts de Madrid. À la mort de Mariano Bertuchi, Mohamed Serghini, lauréat de l’école des beaux-arts San Fernando de Madrid en 1948, en deviendra le directeur en 1957.
Parallèlement, d’autres protagonistes aux destins très éloignés tels Hassan El Glaoui et Meriem Mezian, au début des années 50, vont également suivre un enseignement artistique à l’école des beaux-arts de Paris pour le premier et cette même école San Fernando à Madrid, pour la seconde.
Vers les années 1955, une génération plus importante d’artistes marocains apparaît et poursuit ses études entre le Maroc, la France, la Pologne, la Tchécoslovaquie et l’Espagne. Le premier schisme de l’art marocain entre art figuratif et abstraction est porté par Jilali Gharbaoui qui, au contact des artistes abstraits français, décide d’embrasser ce genre, porteur pour lui de ruptures avec l’art colonial. Ses premières œuvres sont un véritable manifeste pour l’indépendance du Maroc, vers 1955.
Les années 60-70 sont quant à elles porteuses d’un grand débat sur l’identité artistique marocaine, auquel ne sont pas conviés les artistes dits "figuratifs". Pour autant, la modernité de leur pratique n’est pas à remettre en question ni leur engagement social auprès de leurs communautés.
Conscient qu’une première manifestation ne pourra être totalement objective, cette vacation propose une lecture des différents courants figuratifs dans le temps, en assimilant aussi les artistes européens qui ont travaillé sur notre territoire et qui ont porté une vision du Maroc débarrassée du discours colonial.
La CMOOA a ainsi l’honneur, et le privilège, de présenter l'oeuvre de Hassan El Glaoui pour la première fois depuis son décès, en collaboration avec la famille de l’artiste.
Les œuvres présentées fourniront beaucoup d’éléments aux amateurs d’art pour juger de l’importance de ses premières recherches au lendemain de l’indépendance. De l’hyperréalisme dévoilé par Fquih Regragui, Mohamed Ben Yessef, Saâd ben Cheffaj durant les années 70, jusqu’aux recherches de Fouad Bellamine et Mohammed Kacimi au début des années 90, qui apportent un nouveau souffle dans la représentation...
A chaque fois, les artistes marocains ont su, à l’image également de Abdelkrim Ouazzani, transfigurer le visible et ouvrir de nouvelles grilles de lecture pour observer, et non plus regarder.
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