Yawatani

Son sac à dos plein de livres, Khalid sillonne les rues de Rabat pour vendre à la sauvette, et à des prix dérisoires, des ouvrages piratés, une activité en plein essor qui inquiète libraires et éditeurs marocains.

 

"C'est vrai que ce n'est pas légal, mais les prix de ces livres attirent les lecteurs", souffle Khalid, 25 ans, qui fait la tournée des terrasses de cafés du centre-ville de Rabat, entre bâtiments administratifs et immeubles Art déco, une pile de livres sur les bras.

Sur les principales artères de Rabat, ils sont des dizaines de libraires ambulants à proposer des ouvrages en français et en arabe, parfois en anglais, jusqu'à dix fois moins chers que les originaux: le prix moyen est de 20 dirhams. Certains étalent leur marchandise sur les grandes avenues, d'autres arpentent les terrasses des cafés. Les titres les plus vendus sont ceux des auteurs francophones Amine Maalouf, Tahar Ben Jelloun et Yasmina Khadra, mais on trouve aussi des best-sellers de Paulo Coelho ou de Marc Lévy.

D'où proviennent ces livres piratés? "Je l'ignore, c'est mon employeur qui me fournit", jure un vendeur installé à deux pas du Parlement avec sa bâche couverte d'ouvrages de contrefaçon. L'éditeur Abdelkader Retnani, président de l'Association marocaine des professionnels du livre (AMPL), croit savoir que "la majorité sont imprimés en Egypte et acheminés par voie maritime pour être stockés (...) dans des dépôts clandestins". Il espère un renforcement des contrôles dans les ports et aborder le sujet lors d'une rencontre prévue ce mois-ci avec les autorités.

L'activité prolifère dans plusieurs villes du royaume, parallèlement au piratage numérique, et "occasionne des pertes importantes pour les professionnels de l'édition et de la distribution", affirme à l'Agence France Presse l'éditeur Retnani. Mohamed, qui travaille dans une petite librairie de Rabat, le confirme: les livres piratés "impactent directement nos ventes". En outre, ces ouvrages sont "de mauvaise qualité et enlèvent tout son prestige au livre", dit-il. Une difficulté de plus pour une profession que l'on est parfois contraint de n'exercer que de manière saisonnière - en période de rentrée scolaire - avant de se tourner vers d'autres activités, faute de revenus suffisants.

120.000 livres saisis

Derrière ce piratage "qui s'aggrave depuis environ un an, il y a une mafia organisée qui génère des gains considérables", affirme Abdelkader Retnani. "Les autorités ont récemment saisi 120.000 livres piratés, ce chiffre est faramineux mais il est encore tôt pour estimer les pertes", dit-il.

Ce marché noir du livre a inspiré de nombreux articles alarmistes dans la presse marocaine ces derniers mois. "Le piratage asphyxie les librairies et réduit leur chiffre d'affaires et, par conséquent, leurs bénéfices", alertait en juillet le nouveau magazine Bab, édité par l'Agence marocaine de presse (MAP). Le nombre exact de libraires dans ce pays de 35 millions d'habitants n'est pas connu: des médias évoquent le chiffre de 250, Retnani parle d'une centaine.

Il y a un peu plus d'un an, Khalid vendait à la sauvette des DVD piratés, mais cette activité a "connu un net recul avec internet et la possibilité de voir des films sur smartphone". Il s'est donc tourné vers les livres.

Dans "Le livre à l'épreuve", un essai paru en 2017, la journaliste, critique littéraire et éditrice Kenza Sefrioui a enquêté sur les circuits du piratage. Un bouquiniste interrogé dans cet ouvrage décrit comment la première filière serait née en 2005 à Casablanca: un esprit entreprenant aurait fait tirer dans de petites imprimeries de quartier entre 10.000 et 20.000 exemplaires d'un roman d'un auteur marocain inscrit au programme scolaire, avant d'étendre ses activités à des titres à grand succès.

Khalid, le vendeur à la sauvette, assure avoir eu connaissance de la récente arrestation de quatre importateurs de livres piratés qui, selon lui, ont "gagné beaucoup d'argent". Leur arrestation n'a, dit-il, pas eu d'impact sur l'approvisionnement.

Comme la question du prix semble déterminante, les livres de contrefaçon, grâce à leur prix modique, "encouragent peut-être la lecture", remarque Hassan El Ouazzani, directeur du Livre, des bibliothèques et des archives au ministère de la Culture. Mais, selon lui, "ils nuisent surtout à un secteur déjà affaibli".

Les Marocains consacrent une minute par jour à la lecture, selon une étude officielle.  Le marché du livre représente moins de 3.000 titres publiés chaque année, avec un tirage moyen de 1.000 exemplaires.

le360

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