Le débat sur l'interdiction des prêches en arabe dans les mosquées fait son retour en France

RELIGIONCertaines personnalités politiques veulent que la loi impose la langue française dans les prêches des mosquées pour lutter contre le fondamentalisme

« Il faut être très vigilant sur les prêches des imams […], que les prières soient en arabe cela peut se comprendre, mais les prêches, qu’ils soient faits en français, c’est important ». « On est en France, on ne prêche pas en arabe ». La première phrase est de Julien Dray, vice-président du Parti socialiste de la région Île-de-France, invité lundi sur RTL. La seconde a été prononcée par Alain Juppé, le 17 novembre dernier, sur BFMTV. Après lesattentats du 13 novembre, des personnalités politiques, de gauche comme de droite, déterrent un débat lancé en 2011 par la droite, ressuscité en 2014 par le Front national, sur fond de lutte contre le fondamentalisme.

« Déjà une réalité »

Cette proposition suscite des réactions mitigées. Les prêches en français dans les mosquées, « c’est déjà une réalité », explique Rachid Benzine, islamologue et chercheur associé à l’IEP d’Aix-en-Provence. « Le plus souvent, les imams prêchent en arabe et en français, à la demande de la communauté musulmane. S’ils ne maîtrisent pas assez bien le français, quelqu’un traduit ».

En outre, le chercheur estime qu’il ne faut pas surestimer l’influence du prêche. « C’est un rendez-vous important pour les croyants, mais il a lieu une fois par semaine, le vendredi, et rassemble environ 15 à 20 % de la communauté d’une mosquée ».

« Ça se joue sur Internet, pas dans les mosquées »

« La plupart des jeunes n’apprennent pas l’islam à la mosquée, mais sur Internet, où les vidéos des « imams Google » sont accessibles sur YouTube et traduites par les internautes dans de nombreuses langues », à la manière des bénévoles qui sous-titrent les séries télévisées sur la Toile, explique Rachid Benzine.

En outre, les mosquées sont surveillées depuis plusieurs années déjà. Après les attaques terroristes revendiquées par Daesh, plusieurs groupes radicaux chapeautant mosquées ont été dissous, des lieux de prières extrémistes ont été fermés, et des perquisitions ont été menées dans les mosquées où prêchent des imams radicaux, comme Rachid Abou Houdeyfa à Brest.

Ce salafiste quiétiste, star du web, prêche d’ailleurs en français, en attestent de nombreuses vidéos. « Il s’inscrit dans un islam radical, qui dessine un encadrement de la vie quotidienne et des mœurs extrême, qui plaît aux jeunes », décrit le sociologue Raphaël Liogier, auteur du livre Le complexe de Suez, Le Vrai Déclin Français (et Du Continent Européen)*. Il faut selon lui distinguer ce « néo-fondamentalisme, qui peut être en conflit avec certaines valeurs de la République », du djihadisme terroriste.

« A ce jour, aucun des terroristes qui ont frappé la France n’est passé, avant de se tourner vers le djihadisme, par une formation théologique ou une intensification de la pratique religieuse. Ce sont des caïds, des délinquants, qui se tournent vers le djihad, mais dont la plupart ne parlent même pas arabe », poursuit-il. C’est le cas de l’un des kamikazes du 13 novembre, Brahim Abdeslam, qui ne maîtrisait que le français et l’amazighek (une langue berbère), rapporte Le Monde.

Risques de stigmatisation

Pour Rachid Benzine, les hommes politiques qui veulent imposer le français dans les prêches sont « en train de fantasmer l’islam », comme si « c’était encore une religion importée. On associe islam et immigrés ». Ils risquent selon lui d’attiser un sentiment de stigmatisation des musulmans de France. Raphaël Loigier va plus loin : « intervenir ainsi dans les mosquées est anormal et irresponsable. Certains indécis pourraient glisser de l’autre côté ».

* Paru le 13 octobre 2015 aux éditions Le Bord de l’eau.

Source:20minutes.fr

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