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Interview fait par la Nouvelle Tribune

La titrisation est un instrument de financement structuré qui n’est pas nouveau au Maroc, puisqu’elle existe depuis le début des années 2000. Suite à la Loi qui la régit, de 1999, Maghreb Titrisation a été créé en 2001.
La titrisation se limitait cependant aux banques et aux créances hypothécaires de premier rang. Par définition, titriser signifie transformer des actifs détenus par un établissement initiateur en titres négociables sur le marché des capitaux. Plus concrètement, un établissement initiateur qui a un besoin en financement, cède une partie de ses actifs à un Fonds de titrisation, qui lève des Fonds sur les marchés de capitaux et avec le produit de cette émission, achète les actifs auprès de l’établissement initiateur permettant ainsi à ce dernier de disposer en contrepartie de liquidités. Le bilan de l’établissement initiateur se trouve ainsi allégé de ces actifs au profit de ses ressources.
Maghreb titrisation a été longtemps la seule société de titrisation. Toutefois, ces deux dernières années, le Ministère des Finances et après avis de l’AMMC, a donné de nouveaux agréments pour l’exercice de cette activité.
Le champ d’application de la titrisation a beaucoup évolué. Déjà en 2008, avec l’abrogation de la première loi 10-98 et la promulgation de la nouvelle loi 33-06 sur la titrisation qui a élargi le champ des établissements initiateurs aux entreprises publiques notamment et qui a diversifié les actifs éligibles à la titrisation des créances nées et futures.
Est intervenu ensuite l’amendement de la loi 33-06 en 2013 qui a constitué un tournant pour l’activité titrisation puisqu’il a ouvert la titrisation à tout type d’établissement initiateur et a élargi davantage le périmètre des actifs éligibles. Aujourd’hui, aussi bien les créances nées et futures, que les actifs immobiliers et mobiliers, les stocks, ou encore les actifs financiers peuvent être utilisés par les établissements initiateurs dans le cadre d’opérations de titrisation.
C’est dans ce cadre que Maghreb Titrisation a structuré récemment une opération de titrisation de crédits à la consommation en faveur du Crédit Agricole du Maroc.
Dans l’entretien qui suit, la Directrice générale de Maghreb Titrisation, Mme Houda Chafil, nous parle de ce mécanisme de financement innovant qui s’impose de plus en plus dans la structuration des financements des banques, des entreprises publiques tout en s’étendant progressivement aux sociétés privées.

 

La Nouvelle Tribune :
Mme Houda Chafil, Maghreb Titrisation que vous dirigez vient de réaliser une opération de titrisation des crédits à la consommation en faveur du Crédit Agricole du Maroc,(CAM), qui a obtenu le visa de l’AMMC récemment. C’est une première du genre, pouvez-vous nous en parler ?


Mme Houda Chafil :

Effectivement, c’est une première et à plusieurs titres. D’abord, il s’agit de la première opération de titrisation des crédits à la consommation au Maroc et dans la région. Pour cette opération inaugurale, le CAM, et dans le cadre de l’innovation continue, a souhaité diversifier ses sources de financement en monétisant un portefeuille de très bonne qualité. En effet, les créances cédées par la banque sont constituées exclusivement de crédits à la consommation accordés à des fonctionnaires bénéficiant d’un remboursement par des retenues à la source sur les salaires de ces derniers. Le risque de non remboursement de ces crédits est donc très faible.
Ensuite, la deuxième nouveauté consiste à céder ces créances à leur valeur marché et non pas à leur valeur nominale, ce qui permet à la banque de mieux gérer son bilan.
Enfin, cette opération bénéficie de plusieurs mécanismes de rehaussement de crédit qui minimisent considérablement le risque pour les investisseurs.
Ce premier Fonds de titrisation des crédits à la consommation rappelle les débuts de la titrisation au Maroc, notamment le Fonds Crédilog I qui lui aussi concernait des fonctionnaires dont les remboursements des crédits immobiliers étaient prélevés à la source sur leurs salaires.
Aujourd’hui, on teste la titrisation des crédits à la consommation à travers cette même catégorie de débiteurs et avec le même mode de remboursement, ce qui apporte aux investisseurs un confort supplémentaire.
Le montant des obligations émises par le Fonds est de 584,7 millions de dirhams avec une maturité de 7 ans et une duration d’environ deux ans compte tenu de l’amortissement trimestriel.
Le taux de sortie de cette émission reste très optimisé, étant donné la très bonne qualité de risque de la structure proposée au marché.

Pouvez-vous expliciter pour nos lecteurs la mission de Maghreb Titrisation que vous dirigez ?

Maghreb Titrisation (MT) intervient en tant qu’arrangeur et gestionnaire de Fonds de titrisation. De ce fait, avant la création d’un Fonds, et dans le cadre de sa structuration, nous devons trouver un équilibre entre les attentes des établissements initiateurs en matière de financement et celles des investisseurs prédisposés à acquérir les titres des Fonds adossés aux actifs titrisés.
Après la création des Fonds, MT joue le rôle de gestionnaire des Fonds ainsi créés, conformément à la réglementation et à leurs règlements de gestion.
Sachez que la réglementation est stricte et que l’on n’a pas le droit de changer quoi que ce soit dans la manière de gérer les Fonds après leur création sauf accord préalable de l’AMMC et avis des investisseurs.
La gestion d’un Fonds de titrisation consiste à gérer les actifs du Fonds et notamment les flux générés par ces derniers qui nous permettent de rembourser les investisseurs conformément au règlement de gestion de chaque Fonds. Pour ce faire, la société de gestion est amenée à désigner selon les cas un recouvreur quand il s’agit de créances, un expert immobilier et un gestionnaire des actifs quand il s’agit d’actifs immobiliers, un dépositaire et un commissaire aux comptes des Fonds.
A travers la gestion, Il faut s’assurer que les flux attendus des actifs soient reçus par le Fonds, traiter les impayés, les contentieux et même la dévalorisation éventuelle des actifs pour qu’au final, distribuer aux investisseurs ce qu’ils en attendent selon l’échéancier et taux d’intérêt convenus. Rappelons au passage que le Fonds de titrisation procède généralement à des émissions obligataires en bonne et due forme, souscrites par des investisseurs institutionnels qualifiés et rémunérées par des coupons.

Les émissions de titres par les Fonds de titrisation sont parfois privées, pourquoi ?

Les émissions lancées par les Fonds de titrisation peuvent être privées ou faire l’objet d’appel public à l’épargne. La majorité des Fonds, que nous avons structurés et gérés à ce jour, ont fait appel public à l’épargne. Le placement privé est limité aux investisseurs qualifiés qui sont donc des OPCVM, compagnies d’assurances, caisses de retraites ou des banques et impose certaines contraintes dont: un nombre d’investisseurs limité à neuf sur les deux premières années de l’émission et la cession de titres par un investisseur sur les deux premières années qui doit être soumise à l’information préalable de l’AMMC et de la société de gestion.
Les émissions privées sont souvent motivées par la taille des opérations et parfois par la volonté de certains établissements initiateurs d’assurer une certaine confidentialité qui se traduit par la non publication de la note d’information qui reste accessible uniquement aux investisseurs du Fonds.

Pouvez-vous retracer pour nos lecteurs l’évolution de l’utilisation de la titrisation comme outil de refinancement ?

Depuis 2002 et jusqu’en 2013, tous les actifs titrisés ont porté à 100% sur des créances hypothécaires cédées par des banques même si la loi sur la titrisation existait depuis 1999. Le volume structuré et géré au Maroc n’a pas dépassé alors les MAD 4 milliards.

Cette réalité se justifie par la limitation des actifs éligibles aux créances hypothécaires et aux banques, qui, dans un contexte de sur-liquidité et d’accès facile au marché des capitaux, ne voyaient pas d’intérêt à recourir à la titrisation pour se financer ou monétiser leurs bilans.
Une nouvelle loi sur la titrisation a été promulguée en 2008 et qui a permis d’élargir le champ d’application de la titrisation aux entreprises publiques qui depuis ont recours comme les banques à cet instrument de refinancement qu’est la titrisation, et aux créances commerciales.
C’est le premier grand pas qui a été fait en avant ! Le décret d’application de cet amendement n’est sorti qu’en 2010 suivi dans la foulée par un dernier amendement qui a été apporté à la loi sur la titrisation en 2013, pour étendre significativement le périmètre de la titrisation aussi bien en termes d’établissement initiateurs qu’en termes d’actifs éligibles pour la titrisation.
Ce second tournant est très important, puisqu’il nous a permis de faire évoluer les actifs titrisables vers les créances commerciales, les actifs immobiliers, et récemment vers les crédits à la consommation, comme la dernière et récente titrisation du CAM dont nous avons parlé.
Depuis 2013, nous avons structuré et géré près de MAD 10 milliards dont MAD 5.3 milliards de créances commerciales, MAD 1.2 milliard de créances hypothécaires, MAD 2.1milliards d’actifs immobiliers, et MAD 585 millions de créances de crédits à la consommation.

Citez des exemples, depuis, de titrisations de créances commerciales ?

Le premier Fonds de titrisation de créances commerciales a été celui de l’ONEE. Il a permis à cet organisme public de diversifier et optimiser ses sources de financement à travers l’accès au marché des capitaux. Avec la précision de taille que le Fonds de titrisation a acheté auprès de l’ONEE des créances qui existaient sur son bilan et même d’autres qui ne l’étaient pas encore et qui sont générées par des contrats clients dans le temps. Il s’agit d’un préfinancement du chiffre d’affaires de l’ONEE dans le cadre d’un programme de titrisation de 10 milliards de dirhams.
A fin 2016, ce ne sont pas moins de 5,30 MMDH qui ont été émis sur le marché adossés aux créances de l’ONEE sur des clients grands comptes, stables et sécurisés.
Vous savez, quand en 2013, on avait fait un premier test sur les créances de l’ONEE d’un milliard, c’était un peu difficile pour le marché d’accepter ce type de titrisation, complètement différent des créances hypothécaires auxquelles ils étaient habitués. Aujourd’hui, les investisseurs nous en demandent, preuve que ce mécanisme s’impose de plus en plus dans le financement des entreprises et donc de l’économie.

Comment sont rémunérés les titres adossés à des créances commerciales titrisées ?

Les Fonds de titrisation ayant comme sous-jacents des créances commerciales utilisent généralement le mécanisme de surdimensionnement. Ainsi, le nominal des titres émis est inférieur à celui des créances acquises, ce qui permet au Fonds, à travers les flux reçus des créances, de payer les coupons en faveur des investisseurs, amortir le capital des titres émis et payer les coûts de gestion du Fonds.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de la titrisation d’actifs immobiliers ? Et quelles sont les opérations de ce type réalisées par Maghreb Titrisatio?

La Titrisation d’actifs immobiliers a été autorisée suite à l’amendement de la loi sur la titrisation en 2013 pour permettre d’abord un élargissement du champs des actifs éligibles à la titrisation, mais aussi pour introduire la possibilité des émissions de certificats de Sukuk qui nécessitent par définition des actifs tangibles pour les sous-tendre. Il faut rappeler que les certificats de Sukuk sont aujourd’hui un pilier très important qui vient compléter l’écosystème de la finance participative au Maroc, notamment les banques participatives et les futures assurances Takaful qui ont besoin de ce type d’instruments conformes à la sharia pour gérer leurs liquidités et leurs investissements.
Ainsi, la loi sur la titrisation telle qu’amendée prévoit la possibilité d’émettre ce type de titres aussi bien auprès d’investisseurs internationaux que d’investisseurs locaux. Pour cette dernière catégorie d’investisseurs, un avis du comité sharia pour la finance participative est obligatoire.
En attendant la finalisation du dispositif qui accompagne ce type d’émissions, Maghreb Titrisation a déjà testé sur le marché, des titrisations d’actifs immobiliers selon des structures « Sale and Leasback » similaires aux structures de SukukIjara.
Depuis 2013, nous avons réalisé et géré trois opérations de titrisation d’actifs immobiliers dont deux en faveur d’une banque et la troisième en faveur d’un opérateur privé spécialisé dans la grande distribution. D’autres opérations sont en cours de structuration. D’ailleurs, le premier Fonds de titrisation d’actifs immobiliers a été mis en place en 2013 et a été totalement remboursé en décembre 2016, conformément à son règlement de gestion.
Les opérateurs privés ont recours de plus en plus à ce type de structures surtout pour ceux qui détiennent un gisement d’actifs immobiliers de qualité à offrir au marché.

Entretien réalisé par Afifa Dassouli

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